jeudi 31 décembre 2009

Les gens n'aiment plus l'hiver I

La Mère :
Les soirées d'hiver
C'était donc tranquille
Tout ce qu'y avait à faire
C'était de s'asseoir
Pour écouter la grosse truie
Qui ronflait
Qui nous réchauffait.
L'hiver a toujours été
Ce que j'ai préféré.

Médéric : On gelait ! Maudi torvisse, on gelait ! Debout dans la neige jusqu'à la ceinture à essayer de défricher ce maudit terrain. Le vent soufflait pour nous geler les narines pis les sourcils. Y avait des gars qui étaient trop fiers pour dire qu'y avaient frette. Des fois y en tombaient malade, assez malade qu'y revenaient jamais !

A. Paiement, La vie et les temps de Médéric Boileau

Lac gelé, quelque part dans les Laurentides

Skieurs de fond sur les Plaines d'Abraham, à Québec

samedi 19 décembre 2009

In french, please.

Soit qu’elles sont comiques, soit qu’elles n’existent pas, les indications sont assez peu satisfaisantes au Québec pour qu’on en vienne souvent à demander son chemin et, se faisant, à multiplier les anecdotes. J’étais ainsi à Montréal et tout frais sorti de la très parisienne station : Champ-de-Mars, et j’avais dans l’idée de rejoindre le bord du Saint-Laurent en même temps que je ne savais pas de quel côté partir : d’où que j’en vins, une fois de plus, à couper le galop du premier passant venu pour lui demander mon chemin.
Je lui fis une question bien française et la mieux tournée du monde, mais il y a fort à parier qu’il ne la comprit pas, comme il me répondit, sitôt mon point posé :

-In english, please.

On n’est pas longtemps a Montréal sans comprendre qu’un bon bout de Canadiens n’y comprennent pas un traitre mot de français, et comme ce n’était pas la première fois – oh, loin de là ! - que mon guide d’un instant ne le connaissait pas, et qu’on n’est jamais trop malheureux de s’essayer à d’autres langues, je me reformulai bien vite en latin :

-Do you know where is the river?

La magie opéra : j’eus de suite ma réponse, et nos chemins se délièrent sur un sonore “thank you so much”, que je regrette à présent. Parce que ce monsieur, dont les intentions n’étaient sans doute pas mauvaises, n’a pas dit : “I don’t speak french, do you speak english ?”, il a dit :

-In english, please.

On se souvient de cette dissertation que fit un Allemand du XVIIIe siècle pour montrer qu’il en va du bon cholestérol que de parler français, que cette langue a fait des enfants à la Vérité et qu’on a avantage à la répandre autour de soi comme Sganarelle le tabac. L’anglais aurait-il à ce point récupéré ces vertus qu’on puisse l’exiger de tout un chacun en n’importe quelles circonstances, et quand bien même on ne serait pas en pays tout-à-fait anglophone ? Serait-ce risquer un ridicule que de douter que son interlocuteur le connaisse, assez pour employer l’impératif ? C’est bien plutôt le Montréalais francophone qui devrait répondre à ses interlocuteurs : “en français, s’il vous plaît”, parce que c’est encore le Québec ici, et parce qu’il en va de la survie de sa langue dans la plus grosse ville de son État où, me dit-on, elle régresse comme neige au soleil – gros tas de neige, certes.
Certains le font sans doute ; mon hôte, en tous cas, dit ne pas répondre aux Montréalais qui ne lui parlent qu’en anglais : quoiqu’il y ait une violence certaine à refuser de répondre dans la langue de son interlocuteur tout en exigeant qu’il en apprenne une autre, je crois que c’est ici plus sage que de se montrer civil, du moins dans les aires cosmopolites où, comme ici, une langue officielle mais fragile commence à reculer face a un géant qui, osons-le, n’a pas besoin d’être défendu.


mardi 15 décembre 2009

Les douceurs d'Orléans

A la fin du mois de novembre, époque qui me semble lointaine aujourd’hui que la neige a tout recouvert, et tout modifié, une amie du Connecticut est venue qui n’a pas boudé ma proposition d’aller voir un peu le marché du Vieux-Port, celui-là même où j’avais goûté mes premiers bleuets, et qui est l’endroit nécessaire à qui veut tâter du produit local, hors poutine. Nous nous sommes approchés de l’étal d’un producteur de l’Ile d’Orléans et nous sommes laissés happer par sa verve commerciale, logorrhéique mais, nous l’avons vérifié par la suite, oh combien pittoresque. Cependant que je tentais de savoir si mon amie buvait les paroles du monsieur, au reste charmant, ou si elle avait certain talent pour la comédie, on nous donnait tour à tour des échantillons de produits à base de pomme, comme c’est la spécialité de ce producteur là, et, quoiqu’ils étaient, naturellement, de très petite taille, leur nombre fut assez grand pour nous donner après la sensation d’avoir « bien mangé et bien bu » - assez, du moins, pour nourrir la culpabilité de celui qui n’achète pas.

De droite à gauche : mon amie Marine, un monsieur sorti
de Shinning ou de Pet Semetary, le marché du Vieux-Port.

Quelques jours plus tard, nous sommes retournés au marché avec la ferme intention de prendre une bouteille à notre insulaire. Après avoir refait la série des échantillons, parce que, comme la Sophie des malheurs, on ne peut choisir un unique chocolat sans connaître tous ceux de la boîte, nous nous sommes accordés sur une « mistelle de pomme et de sirop d’érable », vin de pomme certes un peu fort, mais d’une saveur unique. Cependant, un porte monnaie mieux garni ne devra pas s’arrêter là, car il y a parmi ces liquides bien d’autres combinaisons, et tout autant de plaisirs introuvables – sauf le moût de pomme, qui compte pour du beurre puisque nous en avons l’équivalent en France, bien que nous l’appelions uniquement par la marque qui le monopolise.

De gauche à droite : avant la bouteille,
après la bouteille.

A propos de beurre, l’étal orléanais proposait aussi de succulents beurres de pomme, produit très répandu au Québec, et que je n’ai pas goûté là pour la première fois, mais pas non plus pour la dernière. C’est, parmi tout ce que nous avons essayé, peut-être le plus facile à décrire : il faut imaginer une compote dont la texture est très fine et dans laquelle se retrouvent les notes profondes du beurre chaud : délicieux. Et je ne parle pas du beurre d’érable, mais c’est que le marchand n’en proposait pas.

mercredi 9 décembre 2009

Première tempête de neige

Dimanche dernier, c’était encore une dépression en développement au-dessus d’un Colorado lointain, mais dont on prévoyait déjà qu’elle serait poussée par les vents du sud, et que, s’acheminant ainsi vers l’est du Canada, elle prendrait de contrées en contrées davantage de puissance, pour en atteindre le dernier seuil à l’abord des régions de Montréal et de Québec. Tant attendue, tant redoutée, la voici, la tempête de neige, la première de l’hiver, et la fin de l’automne ! Et jamais je n’ai suivi d’aussi près un phénomène météorologique.

Proust – comme nous ne sommes pas à la Réunion et qu’il y a des plaisirs qu
’on manque à ne pas avoir de cyclones, nous aurons bel et bien la fantaisie de nommer nos tempêtes de neige – a le mérite d’avoir été ponctuel, comme en effet on l’annonçait pour aujourd’hui et qu’il n’y a pas manqué ; sa venue fut d’autant plus théâtrale que les jours précédents avaient été calmes et lumineux.

7h30.


J’ouvre les rideaux : le ciel est gris, le vent s
emble assez fort, mais pas tant que ça. Le petit « météo média » en bas de l’écran de l’ordinateur indique qu’il fait -7° et qu’il tombe une « faible neige », ce qui est tout à fait faux, et d’ailleurs je m’offusque. Je m’en vais m’enfermer dans un amphithéâtre pour un examen.

8h30.

Le professeur de linguistique, dont la neige, en trente-trois ans de carrière, n’a jamais interrompu le moindre cours, arbore un grand sourire de vainqueur et distribue ses copies. « La tempête, c’est après mon cours, mais jamais pendant. »

10h00.

Je sors de mon examen en espérant d
écouvrir, à travers la première fenêtre venue (mon amphithéâtre n’en avait pas) un gros tapis blanc et des gens emportés par les vents furieux ; mais, comme on s’en doute, il n’y avait rien à cette heure. Je sors, je note le bruit sec que font les feuilles mortes qui roulent sur le sol gelé, et les gens qui parlent ou jurent à propos d’une tempête qui doit s’être attardée dans une boutique-souvenirs à Montréal. Je vais à la bibliothèque.

Vers 12h40.

Deux ou trois flocons, puis rien ; et puis, deux ou trois à nouveau, mais suivis cette fois, et bientôt la musique se fait plus régulière, il commence à neiger, et de plus en plus fort.

Plus tard.

Le vent est trop vif et le sol trop sec pour que la neige s’y accroche, les dépôts sont ainsi balayés et font de petites brumes affolées au-dessus du sol, lesquelles donneront bientôt la « poudrerie » dont le tocsin sonne depuis ce matin sur météo média.



Et un peu plus tard...

Le tapis se forme nonobstant.



Vers 16h00.

Je quitte la bibliothèque et veux rentrer chez
moi ; évidemment, il est hors de question d’emprunter les couloirs souterrains. Dehors, la bordée m’arrive jusqu’aux chevilles, et parfois plus haut, comme le vent la rend irrégulière et forme des dunes à partir du moindre relief. Le vent est violent et glacial, plein de poudrerie, il faut marcher la tête baissée et chaque pas est un effort ; non loin de moi, une fille qui progresse aussi mal que moi, me voit et se met à rire, et c’est bien sûr contagieux. Il n’y a pourtant pas de raisons pour, sinon peut-être – elle est sans doute toute imaginaire – celle que nous en soyons tout coup là, à jouer les explorateurs polaires de seconde zone juste pour rentrer chez nous, alors qu’hier encore tout était vide, et la nature indifférente.
L’his
toire de Proust n’est pas finie. Il est né au-dessus du Colorado, il a fait des orages et des tornades dans l'est des Etats-Unis, et il poursuit son développement monstrueux en déversant ses neiges et ses vents sur le Québec ; nous en reparlerons peut-être, et vous laissons sur un portrait de la bête.

Proust, tel qu'il était mardi.

Oh, quittons-nous plutôt sur un portrait de moi, parce qu'on ne m'a pas assez vu ici depuis un certain muffin, et parce que cela fait un prétexte pour ajouter là une image enneigée ; voici.


samedi 5 décembre 2009

Une affaire Tartuffe

Notre histoire littéraire fait bonne place au Tartuffe et à son affaire, fameuse s’il en est, où l’on vit – souvenez-vous – le propriétaire de la langue française brandir l’étendard de son œuvre contre les dévots qu’elle avait offensé.
Souvenez-vous, c’était en 1664 : la reine-mère Anne d’Autriche s’était offusqué de la représentation du Tartuffe à Versailles et avait lancé, appuyée par ses camarades religieux, une cabale qui en avait obtenu l’interdiction par le roi, lequel hypocrite l’avait pourtant bien aimé. Mais Molière avait de son côté Madame de la Sablière, un légat du Pape et les solaires hésitations du goût royal, aussi finit-il, après moult remous, par obtenir que l’interdiction soit levée : et l’ « affaire Tartuffe » resta dans l’histoire comme une victoire de l’art contre l’oppression, en France.

On sait moins les sinistres conséquences qu’eut cette pièce en Nouvelle-France. La fin du XVIIe siècle vit à Québec la création d’un festival annuel, le Carnaval d’Hiver, où l’on allait pour se divertir du froid et où le théâtre tenait bon rang, tout financé qu’il était par le pouvoir local.
Durant l’hiver 1693-1694, un jeune officier et comédien dilettante, Jacques de Mareuil, se mit en tête de monter le Tartuffe, lequel ne posait plus de problèmes depuis trente ans. Mais c’était sans compter sur le clergé local, et l’évêque de Québec, dont nous dirons ici le nom parce qu’il est drôle : Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, sitôt qu’il eut vent de ce projet, condamna les intentions du soldat-comédien et publia deux mandements qui, loin de s’en tenir à la sulfureuse comédie, fustigèrent le théâtre tout entier. Accusé d’impiété, l’officier se défendit et la nouvelle affaire fut portée devant le Conseil Souverain. Celui-ci hésita d’abord à rendre son verdict, comme il était délicat pour lui de se mettre à dos ou le clergé ou l’armée, puis fit arrêter Jean de Mareuil. Fort heureusement, l’audacieux militaire ne fut pas longtemps en prison, comme le gouverneur Frontenac se mêla bien vite à l’affaire et, jugeant qu’ « il s’y [était] mêlé beaucoup de partialités et de passions particulières », et qu’il n’y avait aucune preuve contre Mareuil, le fit libéré. Mais c’était à la condition de ne plus faire de bruit : Mareuil fut aussitôt rapatrié en France et ne revint plus dans la méchante colonie, qui, forte de ses mandements balayant le théâtre de sa vie culturelle, n’en eut quasiment pas jusqu’à la conquête anglaise, et pas beaucoup plus ensuite comme les anglais n’annulèrent pas les textes épiscopaux, si bien qu’il lui fallut attendre le XXe siècle pour avoir ses premiers grands auteurs et metteurs en scène.

Bibliographie :
GREFFARD & SABOURIN,
Le Théâtre québécois, Montréal, Boréal, 1997
PLOURDE & DESJARDINS,
400 ans de théâtre au Québec, Montréal, Beauchemin, 2008

jeudi 3 décembre 2009

Quand le curé n'est pas là

Quoique cela ne fasse qu’ajouter en redite à la multitude des articles disponibles à ce sujet, et bien que le témoignage, s’il se veut personnel, nécessite un certain empirisme et, par conséquent, quelque chose d’un peu suspect s’il s’en tient là, il m’apparaît qu’un carnet québécois ne saurait avoir un goût d'achevé si, abordant tout sujet, il lui manquait une considération ou deux sur cette pierre angulaire, cet élément proéminent (nous exagérons déjà) des langues québécoises, acadiennes et franco-ontariennes : le sacre.

La coercition cléricale, qui pèse sur l’histoire du Québec des origines à la Révolution Tranquille, a favorisé au milieu du XIXe siècle l’émergence d’un complexe de jurons rangés sous trois paradigmes : celui des personnages de la Bible, celui des concepts chrétiens et celui, plus connu, des objets du sanctuaire. On devine bien le soulagement que pouvait procurer, vis-à-vis de l'institution, l’emploi transgressif de ces mots, en même temps qu’on ne saurait y voir la naissance d’un athéisme : il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que la religion recule sensiblement. Les mots avaient donc double emploi, et sitôt passé le seuil de l’Eglise, le pratiquant québécois retrouvait toute sa déférence pour le tabernacle et l’hostie. Comment ? Sans doute parce que la fonction du sacre est purement expressive, non référentielle : on ne pense pas à la chips divine lorsqu’on lance un « hostie ! ». Mais dès lors où le mot retrouve sa fonction référentielle, il quitte le domaine profane et recouvre sa charge sacrée.


Cependant, on voit très clairement que cette distinction n’a pas suffit. En effet, une littérature abondante privilégie une orthographe des sacres nettement différente de celles des mots religieux, quand bien même cette orthographe n’a aucune réalité phonétique : on préfère ainsi « ostie » à « hostie ». En revanche, d’autres termes, et parmi les plus employés, se sont réellement distingués de ceux dont ils tirent leur origine : il en va ainsi du sacre le plus fameux, qui n’aurait aucune raison de s’écrire « tabernacle » puisqu’on ne le prononce jamais [tabernakl] mais bien plutôt [tabarnak], ou encore de « câlisse », qui écrit ainsi suggère une prononciation différente de la première voyelle.

Façon ou non de se détacher du mot religieux, ces orthographes et prononciations variables pointent une caractéristique fondamentale du sacre franco-canadien : sa nature profondément polymorphe. En témoigne ces quelques déclinaisons :

Ostie, estie, astie, stie
Câlisse, câlique, colasse
Ciboire, cibouère
Tabarnak, tabernik


Encore que certains sacres ne varient guère : si cette polymorphie est fondamentale, c’est surtout en raison de la facilité du sacre à voguer d’une catégorie grammaticale à l’autre, quittant l’interjection pour se substantiver, et de nom devenant adjectif, puis adverbe, et parfois même verbe. Plutôt qu’une liste exhaustive montrant quel sacre peut être employé sous quelle forme, nous nous contenterons de vous laisser rêver sur quelques exemples :

Interjection : « Stie ! J’ai laissé l’écureuil dans ma trousse. »
Substantif : « L’estie / le ciboire / le tabarnak / le criss / le câlice d’écureuil a encore mangé tout le grain des oiseaux. »
Adverbe : « Cet écureuil est câlissement doué. »
Verbe : « Je vais en câlisser une à ton écureuil si y décrisse pas tut’suite. »
Verbe + préposition : « Cet écureuil me met en maudit. »

Cette malléabilité grammaticale permet la création de phrases tout à fait logiques : « Stie ! Le tabarnak a sacrament crissé le ciboire de câlice… ».
En outre, le sacre se prête extrêmement bien à la combinaison, au point que le but du jeu semble parfois de tous les dire en un seul souffle – si on compte les variantes, il faudrait inventer un concours. Le français se plaît aussi à enchaîner les jurons, mais disposerait-t-il d’assez d’oiseaux pour rivaliser avec un : « sacrament, l’ostie de câlice de tarnarnak d’estie de viarge de ciboire a encore prévu d'la neige » ?

Illustrations : Emile Borduas, projet de décoration pour la chapelle d'un château

mardi 24 novembre 2009

Paraît qu'est classique, mais est ben bonne

Comment devient-on Québécois ?

(trouvé sur le toile.)

* * *

1er août.

Nous venons d'emménager dans notre nouvelle maison au Québec. C'est très beau ici. Les montagnes sont si majestueuses. J'ai très hâte de les voir recouvertes de neige.

1er octobre.
Québec est le plus bel endroit du monde. Les feuilles des arbres ont pris toutes les teintes possibles de rouge et d'orange. Nous sommes allés nous promener en montagne et nous avons vu des chevreuils. Quelles créatures gracieuses ! Ce sont certainement les plus beaux animaux de la création. Cet endroit est un paradis ! Je l'adore.

1er novembre.
La saison de chasse au chevreuil commence bientôt. Je ne peux pas croire qu'on puisse tuer un si bel animal. J'espère qu'il neigera bientôt.
J'aime tellement le Québec.

1er décembre.
Il a neigé hier soir. Nous nous sommes réveillés ce matin pour découvrir que tout était devenu blanc. On dirait une carte postale. Quelle vue fantastique. Nous sommes tous sortis et nous avons fait un combat de balles de neige. Quel bel endroit ! J'adore le Québec. J'ai pelleté la neige pour la première fois cette année et je me suis amusé comme un fou. J'ai pelleté le trottoir, l'entrée de la cour. Plus tard, la gratte est passée et a recouvert l'entrée de la cour avec de la neige compacte de la rue.
Le chauffeur m'a sourit et je lui ai envoyé la main en retour. Bah ! du diable ! Je n'ai qu'à seulement pelleter de nouveau l'entrée.

10 décembre.
Encore de la neige hier soir. C'est merveilleux ! La charrue nous a encore fait sa petite farce dans l'entrée. J'aime tellement le Québec !

13 décembre.
Le soleil a fait fondre presque toute la neige. Ah ! Je suis sûr que nous en aurons d'autres avant que ce merveilleux hiver soit fini.

14 décembre.
Il est tombé 8 pouces (25 cm) pendant la nuit et la température est descendue à -10. J'ai encore pelleté l'entrée et le trottoir.
Peu après, la gratte est repassée et a répété son même petit jeu.

15 décembre.
Encore de la neige hier soir. Je n'ai pas pu sortir de ma cour pour aller travailler. Je suis épuisé de pelleter. Crisse de charrue !

17 Décembre.
J'ai vendu l'auto et acheté un 4X4 Blazer pour que l'on puisse continuer se promener dans la neige. Je l'ai équipé de 4 pneus à neige.

18 décembre.
Je suis tombé sur le cul sur la glace noire dans l'entrée. J'ai laissé $123.00 au chiropracteur mais rien n'était brisé en fin de compte. Le crisse de ciel se couvre encore...

21 décembre.
Il est encore tombé de la marde blanche hier soir. J'ai des ampoules plein les mains à force de pelleter. Je crois que le gars de la charrue se cache dans un coin de la rue et attend que je finisse de pelleter. Le câlisse de chien.

23 décembre.
Encore frette en calvaire. -32 ce matin, routes glacées, conduite impossible; j'ai percuté une rampe de l'autoroute avec l'auto de ma femme. Probablement $2,000. de dommage. Elle est en tabarnak.

24 décembre.
On est assuré d'un Noël Blanc; parce qu'un autre 7 pouces nous est tombé dessus la nuit passée et avec cette calisse de basse température, elle fondera pas avant le mois d'août crisse ! Je me suis encore habillé pour sortir et pelleter c'te crisse de marde encore : bottes, jump-suit, foulard, cache-oreilles, gants... et pis la, j'ai eu envie de pisser !

25 décembre.
Joyeux sacrament de Noël ! Encore de la tabarnac de neige. Si je pogne l'enfant de chienne qui chauffe la gratte, j'y fais faire 100 pieds dans la neige en le tirant par les gosses (couilles). Je commence a penser qu'il se cache au coin de la rue et attend que je finisse de pelleter pour venir passer à 100 milles à l'heure devant mon entrée et garocher sa crisse de marde (juron très vulgaire) de la rue dans mon entrée de cour.
Je comprends pas pourquoi y mettent pas plus de calcium sur les routes pour faire fondre la glace.

26 décembre.
Ils prédisent 12 autres pouces de c'te sacrément crisse de marde blanche encore. Y a-t-il quelqu'un qui sait comment de Jésus-Christ, de pelletés de neige, 12 pouces, veulent dire.
Fuck le Père Noël! il a pas à pelleter le vieux Tabarnak. Le gars de la souffleuse est venu pour une donation. J'y ai calissé un coup de pelle dans la face, le crisse, je l'ai envoyé à l'hôpital dans les chambre 22, 23, 24, et 26. Les docteurs pensent qu'il va survivre.

27 décembre.
Encore de la marde blanche hier soir. Ça fait trois jours qu'on n'est pas sortis, sauf pour pelleter la tabarnac d'entrée à chaque fois que le câlisse de sale passe avec son hostie de charrue ! On peut pas aller nulle part. Le char est pris dans une montagne de calvaire de marde blanche. La madame de la météo dit qu'y va en tombé 10 pouces à soir.

28 décembre.
La gouine de la météo s'est encore trompé. On a eu 24 pouces de la câlisse de marde blanche. Si ça continue comme ça, ça sera pas fondu avant l'mois d'août ! La charrue est restée prise dans le banc de neige sur la route et l'hostie d'écœurant qui la conduit est venu frapper chez-nous pour demander s'il pouvait emprunter ma pelle. Après lui avoir dit que j'avais passé au travers 6 pelles pour pelleter tout la marde qu'il m'avait poussée dans l'entrée, j'y ai cassé la 7ième sur sa crisse de tête.

30 janvier.
On a fini par sortir de la maison aujourd'hui. On est allé au magasin pour acheter de quoi manger et en revenant un câlisse de chevreuil s'est braqué devant le char et je l'ai frappé. J'ai pour 3000$ de dommage.
Crisse de chevreuil ! Comment ça se fait que les hostie de chasseurs les ont pas tous tués au mois de novembre ?

1er mai.
J'ai emmené le char au garage en ville. Y'a ben des crisses de trous !
Le tabarnak de char est tout rouillé à cause de l'hostie de calcium qu'ils mettent partout dans les chemins.

30 mai.
On est déménagé en Floride. J'peux pas comprendre qu'il y a du monde assez innocent pour vouloir vivre dans une crisse d'enfer comme le Québec !

jeudi 19 novembre 2009

Où l'on joue du clavecin pennsylvanien

L’Université Laval aime la musique. C’est presque tous les soirs que la salle Henri-Gagnon propose, et gratuitement ou à prix symbolique, des concerts de genres divers où viennent jouer des artistes invités ou des étudiants de la faculté de musique. Il y a de quoi, pour l’étudiant mélomane qui vit en résidence, se sentir comme l’un de ces Esterházy dont la famille possédait un orchestre et Haydn.

La salle Henri-Gagnon. Ressemble un peu à un tableau de Chirico.

Le dernier mercredi offrait un récital de sonates du XVIIIe siècle. Il s’agissait en fait de sonates pour violon & basse continue, puisées dans le répertoire d’Haendel, de Corelli et d’un mystérieux Fesch, où la partie du violon était arrangée… pour contrebasse. Comme on s’en doute, l’effet était assez bizarre, et pas immédiatement appréciable.
Le son plutôt faible de la contrebasse convenait à celui du clavecin, dont le son n’est pas non plus à casser des verres et qui, par conséquent, semble souvent lointain quand il accompagne le violon. Le contraste était moins bon lorsque le contin
uo était joué à l’orgue, lequel avait tendance à noyer les notes les plus graves de l’archet. Après un certain temps d’adaptation, l’ensemble donnait vraiment quelque chose dans les mouvements lents et mélancoliques, mais pas dans les mouvements rapides, où la contrebasse s’engourdissait, s’essoufflait comme une octogénaire tentant de gravir les escaliers, et faisait de la peine à l’auditeur tant elle semblait narguée par les phrases fines et voltigeuses du clavier, qui aurait dû, pourtant, lui être subordonné.


Orgue de chambre.

La musique achevée, il y eut bien quelques curieux, moi dedans, pour aller du côté des instruments et en étudier un peu les mécanismes complexes. Quand on apprit qu’ils n’appartenaient pas aux musiciens, mais bien à l’université, on osa davantage les toucher (c’est avouer qu’on n’avait pas attendu l’information pour le faire), et je me retrouvai bientôt installé au clavecin à jouer ces Tendres Plaintes de Rameau que je potasse depuis bientôt trois ans.
Quel plaisir que de sentir la touche résister légèrement avant de s’amollir, puis le plectre griffer la corde, laquelle est si fine qu’on n’en voit à peine la vibration… Plaisir aussi de pousser les registres, qui déplacent les jeux de sautereaux et permettent de pincer une ou deux cordes à la fois, ou encore – mais cela n’est d’aucun intérêt – d’amuïr totalement l’instrument ! En fait, j’ai ressenti à peu près exactement que je j’avais imaginé ressentir : une impression de délicatesse fragile, toute en douceur.
Je n’ai pas trouvé difficile de jouer les Plaintes comme je les jouais aux piano : mes trilles et mordants se portaient bien, et j’allais jusqu’à retrouver cet infime décalage entre les deux mains que je m’amusais à copier des grands maîtres dans certains accords. Malgré la mécanique très différente et les touches qui, je crois, sont plus étroites, je n’ai même pas éprouvé les difficultés que j’ai habituellement lorsque je passe d’un clavier à un autre.

En rentrant chez moi, j’eus une petite pensée pour Scott Ross, claveciniste fameux qui a enseigné à Laval dans les années 70 et 80, et qui par conséquent, qui sait ? a peut-être promené ses doigts sur cet instrument ci.

Clavecin pennsylvanien.

lundi 16 novembre 2009

Novembre

Depuis quelques jours comme à son début, le mois n’est guère différent des fins d’automne françaises, avec ses arbres décharnés jetés contre un ciel éteint, ses tapis dégoûtants de feuilles mortes, et tout l’ennui de ses bruines interminables qui ne le cèdent jamais à des pluies plus franches, et qui font désespérer de nouvelles neiges.

Selon Marie-France, nous n’avons pas eu d’été indien. Selon Marie-Ève, nous l’avons eu la semaine dernière, même s’il était moins doux que de coutume, et bien qu’il soit généralement le fait du mois d’octobre. Quoiqu’en disent les deux Marie, force est de constater que la semaine passée fut assez singulière : quatre ou cinq jours de suite, le ciel resta impeccable de tout nuage, se faisant l’écran des couleurs du soleil, toujours suaves et changeantes du fait, j’imagine, de sa courbe restreinte à cette période de l’année. L’air n’était pas trop froid, il y eut même quelques téméraires pour s’étaler sur les pelouses comme on faisait en septembre ; le plus agréable était de contempler le déclin rapide de la lumière que les nuages ne relayaient pas, et de sentir, en se promenant, la caresse du soleil sur les parties éclairées du visage, par contraste avec celles que l’ombre préservaient.


La météo, déesse ubiquiste du Québec, mais pas plus fiable qu’en France, n’annonce pas de baisse des températures avant la fin du mois. Je crains qu’il ne faille attendre décembre avant d'accueillir l’hiver. Neigera ? Neigera pas ? Il y a deux ans, les Québécois ont connu, fait rarissime, un Noël vert.

samedi 14 novembre 2009

Où l'on se pâme devant des toiles d'Alleyn et de Lemieux

« Comme les sentiments, les tableaux sont aussi quelquefois contradictoires. Ce sont des lignes de tension… » (Marcelle Ferron)

Le Musée des Beaux-arts de Québec est l’endroit de la capitale des amateurs d’art et autres amateurs d’amateurs d’art. On y prend le ticket de l’exposition permanente, parce qu’on n’a pas envie de se tailler une réputation en allant voir Le Nu dans l’art contemporain ; on se tâte, et puis, attiré par l’idée, on va du côté qui fut une prison ; on entre chez Daudelin, on se dit que c’est un peu fort de café que de nous servir autant de maquettes d’œuvres, et si peu d’œuvres ; on ressort en claquant la porte après avoir violenté les guichetières.
Et puis, un jour, on revient, non pas qu’on soit en manque de nu : d’ailleurs on reprend le ticket de l’exposition permanente, mais cette fois-ci on ne va pas en prison. On déambule un peu, donc, dans les couloirs néo-classique-bizarres du pavillon opposé, et puis on tombe nez-à-nez avec une salle au nom séduisant : figuration et abstraction au Québec (1940-1960) – on y entre, ravi.

Et on a bien raison, car cette exposition est des plus réjouissantes. Sculptures, toiles, mobilier et petits objets s’y côtoient, orchestrés par une scénographie qui appelle à un dialogue subtil entre les œuvres.
A l’entrée, un texte donne un bref aperçu historique de la période. Ensuite, on ne trouve rien sinon des citations d’artistes, parfois en contradiction les unes avec les autres, toujours stimulantes, et participant en tout cela d’une visite non linéaire. Une,tout particulièrement arrive à point après beaucoup de considérations sur la différence entre l’abstrait et le figuratif :

« [« art abstrait » et « art figuratif »] ne sont pas des domaines naturellement en rupture. Au contraire, ils sont un seul domaine continu. C’est une question de degré, non d’espèces. Il y a des œuvres qui sont plus ou moins abstraites, c’est tout. »

Mais tout cela n’est que littérature, venons-en aux œuvres. J’en ai apprécié beaucoup, mais je ne parlerai que de deux toiles en particulier, ce qui sera aussi l’occasion de s’exercer à l’ekphrasis – aussi serez vous conciliants.

Il y a d’abord l’Ombre d’un doute (1959) d’Edmund Alleyn. La toile constitue un assez grand rectangle vertical, badigeonné d’un beige épais tirant parfois sur le vert, et qui pourrit à droite en une tâche presque noire, large et haute, aux contours vers le marron ; à son endroit, la peinture semble plus épaisse encore et forme d’horribles tumeurs, des furoncles, des rides, toujours des reliefs à l’aspect organique et répugnant ; sur tout cela, mais comme au dessus, deux ou trois éclats rouge vif, tout petits, mais piquants à côté de cette ombre énorme et douloureuse. Mais à vrai dire, j’y vois moins l’ombre que le doute lui-même, visible à un niveau cellulaire, comme une mitochondrie qui serait apparu dans le sourd concert organique à la façon d’un trou noir – donc, une pure négation ?-, statique mais attirant tout à lui.

Vient ensuite une autre toile, La fête-Dieu à Québec (1944) de Jean Paul Lemieux. Il s’agit peut être de la toile la plus franchement figurative de l’ensemble. On y voit une procession religieuse défiler dans les rues colorées du vieux Québec, suivie et contemplée par la foule bigarrée, faite d’enfants et de vieux, de bourgeois distants et de masses populaires, le tout plein d’anecdotes.
Je pense qu’on peut parler de peinture naïve : couleurs franches, perspective approximative, psychologie sommaires des personnages (quand on les voit d’assez près). Mais qu’on y regarde un peu mieux, et c’est une œuvre admirablement composée qui se dévoile seconde après seconde. Cette liberté dans la perspective se combine à un point de vue extrêmement bien choisi, qui à la fois donne l’impression d’être derrière une fenêtre, comme les personnages du premier plan apparaissent gros et détaillés, et permet d’embrasser, si l’on excepte le port, tout le vieux Québec ! L’œil, guidé par la ligne sinusoïdale formée par la rue qui suit la procession, et autour de laquelle s’organise tout le tableau, part des remparts qui marquent le début des Plaines, passent sur la rue Saint-Jean et les toits environnants, puis descend vers la place Royale pour se prolonger sur le quai jusqu’où continue puis s’éteint la ville, au pied de la falaise. Quand on sait les reliefs accentués de Québec, on pourrait se dire qu’il y a là un exploit. Or, justement, je ne sais pas si cette toile est « impressionnante » : il me semble au contraire que la magie de cette Fête-dieu vient de ce qu’elle est savante dans sa composition, son travail de la couleur et son mouvement, tout en ayant l’apparence réjouissante d’une œuvre simple, joyeuse et évidente, « naïve » avons-nous dit.

Voici donc, cet inutile article pour vous donnez envie d’aller au Musée des Beaux-arts.

lundi 9 novembre 2009

La dame de la chute Montmorency

Les habitants de Boischatel vous diront qu’on aperçoit quelquefois, quand vient l’automne, une forme blanche et silencieuse errer à l’endroit d’un ancien champ de bataille, avant de s’élancer vers la chute Montmorency, où elle se jette alors parmi les eaux grondantes.
Il y avait dans les environs, vers le milieu du XVIIIe siècle, deux jeunes villageois, Mathilde et Louis, lesquels nourrissaient l’un pour l’autre des sentiments forts tendres, et dont les pères assuraient le mariage prochain. Bien que le secret fût inutile, Mathilde et Louis aimaient à se donner rendez-vous au sommet de la chute : sans doute goûtaient-ils là, environnés de la seule nature, le concert sublime des cascades, dont le vertige devait répondre à celui de leurs sentiments ; mais ils n’étaient pas nés pour être heureux.
La Nouvelle-France était alors plongée dans la guerre de Sept-Ans, et il y eut un jour où les Anglais débarquèrent tout près du village : on requit alors la milice locale pour grossir les rangs français, et comme Louis s’y était engagé, il dut prendre le fusil et faire ses adieux à Mathilde.
On rapporta que la bataille fut longue et pénible, la pluie gâchant la poudre, mais que l’Anglais avait été repoussé. Comme Louis ne figurait pas parmi les miliciens de retour, Mathilde l’alla chercher sur les lieux de la bataille, se gardant de larmes trop précoces comme d’espoirs trop fous, car peut-être était-il simplement blessé ?
Mais elle ne retrouva qu’un corps blanc et sans vie parmi les feuilles mortes et la boue. Quant elle eut fait à son tour ses adieux à Louis, elle perdit toute expression et retourna chez son père. Là, elle prit la robe blanche qu’on avait fait pour son mariage, la mit, et rejoignit une dernière fois le lieu de ses rendez-vous, où sa blancheur éclatante se confondit bientôt avec celle de la chute.


samedi 31 octobre 2009

Marcel Dubé en personne

"Johanne : vous vous lassez de tout, je pense."

A
u-delà de l’intérêt des post et préfaces, il n’est pas tout à fait nul de varier les éditions d’un même texte, s’entend : d’un texte qui ne comporte guère plus de variations que de fautes d’impression, et qu’on a trop souvent lu. En effet, il semble p
arfois qu’offrir un peu de nouveauté physique au texte lui rende, par la même occasion, un rien ou deux de sa fraîcheur première, ce qui n’est pas toujours sans stimuler l’étude qu’on veut en faire. (Alors, on me rétorquera bien qu’il n’y a pas de quoi en faire un fromage, ce à quoi je répondrai : certes, mais je n’aime pas ça.)

Avant-hier, donc, je cherchais à la bibliothèque une nouvelle édition du Temps des Lilas de Marcel Dubé.
La pièce n’est pas mauvaise, je la conseille à qui voudrait s’initier au théâtre québécois.
C’est, disons, un drame psychologique (beaucoup ajoutent : "réaliste") qui n’est pas sans accointances avec le théâtre de Tchekhov. On y retrouve ces personnages dont la légèreté ou le cynisme (celui de Virgile rappelle Vania) ne dissimulent pas longtemps les douleurs, les dégoûts, les vies manquées, prêts à les plaquer au sol dès qu'ils voudront s'en échapper, et aussi cette atmosphère particulière, douce et poétique, mais pesante, et que détermine en partie un lieu affectivement chargé, ancien, et menacé de disparaître - ici, une maison qu'il va falloir céder, comme dans La Cerisaie.
Chez Dubé, je dirais que toute cette esthétique tourne principalement autour d’un thème, un peu sombre, certes : le carpe diem impossible, le lilas trop éphémère pour qu’on en profite assez, et qui ne nous laisse que de quoi le désirer à nouveau.
Alors, la comparaison for
çant, on trouvera peut-être Dubé un peu sucré, et ses ficelles un peu grosses parfois, mais ça reste bon.

Je me décidai donc pour une v
ieille édition à couverture rouge texture cuir. J’ouvre le livre, les pages sentent fort. Et là, sur quoi tombe-je ? Sur ça:

Un certain de mes amis aurait sans doute dit : « mais lol ». Et sans doute, il aurait eu raison, surtout s’il avait vu en même temps ce qu’il y avait de collé sur la page d’à côté, ce que moi n'ai vu que le lendemain, et qui, pour le coup, me fit loler à mon tour :


On voit donc l’intérêt de changer d’édition de temps à autre : on y fait des découvertes surprenantes et l’on apprend à contenir des fous rires en bibliothèques.

mercredi 28 octobre 2009

lundi 26 octobre 2009

A propos de la neige

On ne s’ennuie pas de dire qu’il y a quelque chose de tout à fait factice dans un paysage enneigé, que la neige, trop blanche, trop vierge, en cela sonne faux, voire : en cela n’est pas crédible – comme si, en quelque sorte, on trouvait peu ludique de penser que tout ce qui est dans la nature, par le seul fait d’y être, est naturel.
Dois-je avouer que je ne suis pas tout à fait froid à ce sentiment de toc.

Donc, pour apporter mon flocon à l’hivernal bavardage, je dirais qu’il vient de ce que la neige réfléchit trop la lumière, c’est-à-dire : d’une façon abusive par rapport aux objets qui l’entourent. En effet, on voit qu’elle veut toujours être la première et la dernière à briller quand le soleil se pointe ou décroit, et quand il est à son midi, ses radiations nous éblouissent et nous font rechercher les ombrages qui la bleutent.
Par contraste, elle reste étrangère au monde qu’elle prétend recouvrir, et l’harmonie s’en trouve rompue, le paysage faisant dès lors comme une vaste sculpture toute de détails et de nuances sur laquelle on aurait renversé un gros pot de peinture blanche; et alors, quand bien même la couche parasite s’immisce dans les creux et veut s’approprier les formes, elle ne parvient jamais qu’à s’y superposer vulgairement : tout sous elle croule, s’incline, se fige. Indiscrète, elle aspire à l’approbation du passant, mais ne parvient jamais que le choquer – que cette émotion prenne la forme d’un épanchement libidinal chez les enfants ou d’une indignation outrée chez l'esthète.
Oui, la neige est romantique : c’est-à-dire qu’elle est excessive, d’une beauté toute effusive et douteuse, facile et suborneuse.


Sauf que j’aime bien cette fausseté, justement, cet échec de la neige; c’est ce qui fait son petit charme triste. On dirait un fantôme qui aurait réussi à se substantifier, mais sous une forme grossière – d’où sa virginité – et qui ne parviendrait pas à rejoindre définitivement le monde des vivants, trahie par son rayonnement surnaturel et, très légèrement (juste de quoi rendre le sentiment grisant, en fait) inquiétant.

J’ajouterais aussi une possible banalité, qui est que la neige, comme elle recouvre la saleté et la vieillesse du monde, nous le rend temporairement pur, fraîchement né, sans histoire, et nous offre ainsi le plaisir d’être le premier à le souiller – ou bien, si l’on est d’une âme plus vertueuse, ou baudelairienne, de le contempler dans sa beauté originelle, de derrière la vitre, avec le chocolat chaud qu’on sait, etc.
En même temps, il serait bien étrange d’associer cette dernière posture à la vertu, puisque dans cette idée se retrouve encore l’idée de fausseté, déplacée certes de la neige à son effet, mais bien présente : la preuve en est dans les pays qui négligent leur hygiène urbaine, comme la France, où il y a toujours à craindre, quand on marche dans la rue, que la neige ne dissimule certaine plaisanterie canine.

Mais si la neige, irrémédiablement nous paraît spécieuse, c’est peut-être aussi qu’elle est la seule chose vraie ici-bas, et que c’est tout ce sur quoi elle consent à se poser qui est de mauvais goût : la neige serait ainsi l’occasionnelle révélation du caractère fondamentalement kitch du monde, en même temps que son voile providentiel, susceptible d’initier les purs esprits au Beau du Vrai du Beau.

(Laissez-moi vous rassurer : c’était pour terminer par une cavillation digne des qualités qu’on attribue à son objet. Même si…)


lundi 19 octobre 2009

Des arbres et des gens

Là, j'en profite pour caser une autre image du locus amoenus de Sherbrooke.

La patinoire extérieure de Québec, place Youville, à la sortie de la porte Saint-Jean dont on peut voir le début de l'arcade, et qui scinde en deux parties la rue Saint-Jean, l'une des plus animées de la capitale.

Ici, j'aime le tronc du boulot dont le blanc apporte quelque chose de suave au rouge de l'arbre et du tapis de feuilles sur le chemin.

Un pestacle

Cette année, le théâtre du Trident – principal théâtre de la capitale – a choisi d’ouvrir sa saison avec une création québécoise pur jus, Reconnaissance. Québécoise, l’œuvre est aussi collective : coproduite par le TNT et le Théâtre Nouveau Parking (quel nom étrange…), mise en scène par Michel Nadeau, elle s’est élaborée sur l’alternance de moments d’écriture et d’ateliers d’improvisation – ce fut donc pour moi l’occasion de découvrir un peu la production locale dans toute sa fraîcheur.

Bon, autant le dire, je n’ai pas saisi la particularité québécoise de ce spectacle – du moins, pas sur le plan esthétique. De nombreux papiers assurent que la discordance et l’incompréhension entre père et fils est toujours lourde de symbolisme pour un québécois, mais elle le serait ailleurs aussi, même si d’une autre manière, m’est avis. J’ai vu un spectacle contemporain occidental, disons ; mais je n’ai peut-être pas bien vu – j’ai aimé, c’est l’essentiel.

Mais il vaudrait mieux commencer par dire ce que ça raconte, Reconnaissance. Sauf que l’affaire est bien emmêlée : essayons quand même.
François, jeune metteur en scène obsédé par Hamlet, tombe dans le coma, et dès lors son père n’a de cesse de retrouver ses traces pour tenter de le comprendre, et de le réveiller. C’est le fil principal, mais il croule sous une toile épaisse de fils seconds : l’histoire de la petite amie de François, des membres de sa troupe, de sa mère, du couple qu’elle fait avec le père ; mais aussi l’histoire d’autres personnes mêlés au coma de François : celle de son médecin, ou encore celle de son infirmière, qui ne parvient à faire le deuil de son nourrisson, et qui correspond sans le savoir avec le père via internet. L’enchâssement des espaces temps, créés temps par la construction de la fable que la scénographie, achève de briser toute linéarité.

En quelque sorte, Hamlet est la figure principale de Reconnaissance.
Il est toujours invisible : l’acteur qui l’interprète dans le spectacle de François abandonne le projet avant sa représentation, et parce que François avait décidé d’en répartir le monologue le plus célèbre entre tous les comédiens. Mais en même temps, il est partout, démultiplié, divisé parmi les quêtes identitaires. Hypertextuel, aussi, certaines scènes du spectacle de Nadeau se confondant avec celles de Shakespeare, dont celle du crâne.
Ophélie a aussi sa place, parce qu’elle est le pseudonyme de l’infirmière endeuillée – certains ont même vu le Roi Lear ici ou là.

Au-delà de Shakespeare, ou, disons, par Shakespeare, c’est toute la perle irrégulière du baroque qui vient rouler sur la scène et y lancer ses troubles éclats.
D’abord parce que le théâtre est au cœur du spectacle : théâtre mis en abyme, « le monde est un théâtre », etc., qui amène naturellement au thème de l’illusion : celle de la mère, par exemple, qui se brise lorsque son mari lui révèle qui ne l’a jamais aimé ; l’illusion des rêves, aussi, ceux du père, celui de l’infirmière qui voit son enfant lui parler, ou encore la réalité seconde dans laquelle flotte François tandis qu’il est dans le coma – tout ceci n’allant pas sans les interrogations relatives au degré de réalité de la vie onirique.
On peut aussi parler de la vanité de la vie qui apparaît au fond des culs-de-sac où mènent les interrogations, et de la mort qui lui est liée, et qui là côtoie plus que jamais le sommeil à travers le coma. A tout ça, ajoutons une figure, le fantôme : celui d’Hamlet, nous l’avons déjà évoqué, mais aussi celui du père, qui prétend n’avoir jamais mené qu’une vie fantomatique depuis sa lointaine tentative de suicide – ce qui, évidemment, a été fait exprès par Nadeau pour déstabiliser mon idée de mythe en miroir, puisque du coup le père de François est un fantôme comme celui d’Hamlet.

Pour conclure dans les règles de l’art, je changerai brutalement de sujet en parlant un peu du théâtre du Trident.
Son hall confortable et chaleureux vous accueille si bien qu’on a envie de venir beaucoup trop tôt pour y manger un muffin dans un fauteuil moelleux (ou un muffin moelleux dans un fauteuil) en attendant de se précipiter dans la salle. A la sortie, on s’émoustille aussi de pouvoir voter la qualité du spectacle en glissant son billet dans l’un des trous percés dans le mur du vomitorium – désolé pour ce mot, mais le rituel comme le bouillonnement de la foule à la sortie forçaient l’antiquité. (J'ai voté : "beaucoup".)

Reconnaissance
Texte et mise en scène : Michel Nadeau
Scénographie : Monique Dion
Costumes : Julie Morel

Avec : Lorraine Côté, Claudiane Ruelland,Valérie Laroche, et les autres

dimanche 11 octobre 2009

L'hydrométéore fortuit

Tout le dimanche avait été venteux, mais les choses prirent soudain une véhémence telle qu’il eut été dommage de ne pas avoir choisi cette heure pour sortir.
Je suivais alors une allée du campus, celle qui traverse la petite forêt, quand je vis à une dizaine de mètres devant mois, là où le bois s’éclaircit, les arbres se cabrer, des nuées passer au dessus du sol en brouillards rapides, puis une épaisse et diarrhéique marée de feuilles mortes envahir les dalles et noyer la pelouse, poussée par un vent puissant et vagissant qui, parce que l’air autour de moi n’avait pas cette ardeur, me paraissait plutôt comme une force maligne et rampante.
J’atteignis bientôt ce segment et m’amusai de ne pas réussir à garder mon équilibre, et de peiner dans ma progression, tant en effet le souffle était fort ; sans doute était-il amplifié par la longue et large plaine qui sépare ce côté de l’université en deux ensembles de bâtisses.
Les nuées violemment emportées me fouettaient le visage, et ce n’était pas de la pluie ; quand le vent retomba, on pu distinctement voir qu’il neigeait.
Québec voyait sa première neige ! Imbécile heureux, je me précipitai dans la chambre pour annoncer ma joie à qui était en ligne, et pour trouver ma caméra, avant de m
e rappeler que j’en avais vidé la batterie la veille.
Je suis ressorti, pour voir jusqu’à son t
erme ce spectacle inlassable, dont j’avais eu la chance de vivre l’exorde indécise puis le plein développement ; entre temps, le ciel s’était teinté d’un orange radical, peut-être l’effet du crépuscule voilé par ces précipitations douces et glacées. Elles ne durèrent pas, bien sûr : cinq minutes après, il n’y avait plus rien.


Point de sépia là-dedans : le ciel était comme ça.





Pis là on peut voir un tout petit peu les flocons tomber.

samedi 10 octobre 2009

Sherbrooke [jour]

Javais décidé de me lever tôt pour voir un peu l’aube d’ici ; je suis donc parti de bon matin, sans faire mes adieux à mon hôte comme il dormait encore, et avec l’idée de faire le tour de la ville à pieds.
La traversée du pont Jacques Cartier en fut la première étape.
Je trouvai là quelques vertiges, non que le pont fût très haut, mais j’ai trop vite remarqué, en fait, qu’il était possible de se glisser entre la route et la barrière pour tomber dans le fleuve, et cette imagination, stupide s’il en est, suffit à gâter mon passage.
Mon idée subsidiaire était de tirer profit ma vigueur matinale pour folâtrer un peu dans le bois du mont de Bellevue, jusqu’à en trouver le sommet, que j’avais vu de l’autre rive joliment chapeauté d’un plat nuage. Je m’y suis bien promené, mais je n’en ai jamais atteint le sommet ; je crois que le réseau de sentier dans lequel je m’étais engagé n’y menait juste pas. M’enfin, j'y aurais au moins appris à faire abstraction des écureuils, et découvert quelques animaux inconnus : notamment, un oiseau qui poinçonnait frénétiquement les arbres comme un pic-vert, mais qui était blanc et noir, ainsi qu'une sorte de petite mouche d’un bleu étonnamment clair et qui ne s’ennuyait pas de stagner dans l’air au milieu du chemin.
En montant, j’ai atteint le brouillard, qui donnait aux grands troncs des allures de forêt allemandes pour pochette de disque de musique classique – Schubert, sans doute.
Là, je me suis fait piquer du sang par de nombreux moustiques.

Je voulais absolument passer à nouveau dans le centre-ville, comme un lieu n’est jamais le même si, après l’avoir découvert de nuit, on y revient sous une lumière diurne. Tout m’apparut ainsi plus coloré ; les architectures s’enrichirent de détails, le Granada me révéla des charmes crémeux. Seul n’avait pas changé le désert des rues… Il faut dire aussi que c’était un dimanche matin, et que la ville est étudiante.
Je ne suis pas retourné dans le Subway, lui préférant un endroit qui n’avait, malheureusement, de donuts que dans le nom.
Plus tard, je suis me promené un peu le long de la rivière où sont les nombreux ponts qui s’étaient changés en montagnes russes dans la nuit. L’endroit était vraiment charmant ! Le locus amoenus par excellence. Vraiment, il n’y manquait que le chevalet du peintre romantique et le couple d’amoureux secrets, cachant là leurs sentiments qu’un sinistre père viendrait bientôt contraindre.
Des souvenirs s’emmêlaient à ma rêverie. L’eau calme à l’aspect profond, les talus et les petites falaises sombres aux sédiments apparents, me rappelaient des promenades familiales aux ardoisières, et l’orange vif des arbres faisaient tout à fait comme « la pomme » d’un poème que m’a fait découvrir Janine, « si rouge que le ciel autour d’elle avivait son bleu trop doux » - le jour, en effet, était magnifique. L’amoenus, je disais.

Tout s’est terminé au carrefour de l’Estrie, centre d’achat où je suis arrivé trop tôt par crainte d’y arriver trop tard, comme toujours – j’avais rendez-vous à cet endroit avec la voiture du retour. Je m’y suis considérablement ennuyé, apprenant les marques des voitures pour être en mesure d'identifier la « Honda Civic argent », et observant la progression d’un gigantesque nuage blanc. Je me demandais si, Geoffrey ici, j’aurais été capable de déclarer avec assurance que c’était là un cumulo-nimbus. Et puis, je me suis engouffré dans l’affreux complexe, mais une heure plus tard, en ressortant, je trouvai un ciel noir, une pluie battante et de sourds grondements. Je me suis alors dit que j’aurais dû pousser le jeu jusqu’au bout et y mêler un peu d’argent.