lundi 26 octobre 2009

A propos de la neige

On ne s’ennuie pas de dire qu’il y a quelque chose de tout à fait factice dans un paysage enneigé, que la neige, trop blanche, trop vierge, en cela sonne faux, voire : en cela n’est pas crédible – comme si, en quelque sorte, on trouvait peu ludique de penser que tout ce qui est dans la nature, par le seul fait d’y être, est naturel.
Dois-je avouer que je ne suis pas tout à fait froid à ce sentiment de toc.

Donc, pour apporter mon flocon à l’hivernal bavardage, je dirais qu’il vient de ce que la neige réfléchit trop la lumière, c’est-à-dire : d’une façon abusive par rapport aux objets qui l’entourent. En effet, on voit qu’elle veut toujours être la première et la dernière à briller quand le soleil se pointe ou décroit, et quand il est à son midi, ses radiations nous éblouissent et nous font rechercher les ombrages qui la bleutent.
Par contraste, elle reste étrangère au monde qu’elle prétend recouvrir, et l’harmonie s’en trouve rompue, le paysage faisant dès lors comme une vaste sculpture toute de détails et de nuances sur laquelle on aurait renversé un gros pot de peinture blanche; et alors, quand bien même la couche parasite s’immisce dans les creux et veut s’approprier les formes, elle ne parvient jamais qu’à s’y superposer vulgairement : tout sous elle croule, s’incline, se fige. Indiscrète, elle aspire à l’approbation du passant, mais ne parvient jamais que le choquer – que cette émotion prenne la forme d’un épanchement libidinal chez les enfants ou d’une indignation outrée chez l'esthète.
Oui, la neige est romantique : c’est-à-dire qu’elle est excessive, d’une beauté toute effusive et douteuse, facile et suborneuse.


Sauf que j’aime bien cette fausseté, justement, cet échec de la neige; c’est ce qui fait son petit charme triste. On dirait un fantôme qui aurait réussi à se substantifier, mais sous une forme grossière – d’où sa virginité – et qui ne parviendrait pas à rejoindre définitivement le monde des vivants, trahie par son rayonnement surnaturel et, très légèrement (juste de quoi rendre le sentiment grisant, en fait) inquiétant.

J’ajouterais aussi une possible banalité, qui est que la neige, comme elle recouvre la saleté et la vieillesse du monde, nous le rend temporairement pur, fraîchement né, sans histoire, et nous offre ainsi le plaisir d’être le premier à le souiller – ou bien, si l’on est d’une âme plus vertueuse, ou baudelairienne, de le contempler dans sa beauté originelle, de derrière la vitre, avec le chocolat chaud qu’on sait, etc.
En même temps, il serait bien étrange d’associer cette dernière posture à la vertu, puisque dans cette idée se retrouve encore l’idée de fausseté, déplacée certes de la neige à son effet, mais bien présente : la preuve en est dans les pays qui négligent leur hygiène urbaine, comme la France, où il y a toujours à craindre, quand on marche dans la rue, que la neige ne dissimule certaine plaisanterie canine.

Mais si la neige, irrémédiablement nous paraît spécieuse, c’est peut-être aussi qu’elle est la seule chose vraie ici-bas, et que c’est tout ce sur quoi elle consent à se poser qui est de mauvais goût : la neige serait ainsi l’occasionnelle révélation du caractère fondamentalement kitch du monde, en même temps que son voile providentiel, susceptible d’initier les purs esprits au Beau du Vrai du Beau.

(Laissez-moi vous rassurer : c’était pour terminer par une cavillation digne des qualités qu’on attribue à son objet. Même si…)


3 commentaires:

  1. La neige nous rappelle que nous sommes des êtres bien grossiers. Mais c'est bien dit pour elle !

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  2. J'aime la formule "son petit charme triste". Pour moi,la neige, ici, ça n'existe pas.
    Constance, pieds nus.

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  3. Sur la brillance de la neige, c'est ce qui fait que nos hivers sont si agréables après le long et morne automne. Sur la phrase suivante: "quand bien même la couche parasite s’immisce dans les creux et veut s’approprier les formes, elle ne parvient jamais qu’à s’y superposer vulgairement", je n'ai qu'une chose à dire: Attends février et on s'en reparlera ^^. hihi

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