mardi 29 septembre 2009

Le messager du corridor

« Quelle mélancolie ! Octobre, octobre en voie !
Watteau ! que je vous aime, Autran, ô Millevoye ! » (E. Nelligan)

Curieusement accolé à la porte de ma pièce, j’ai pu suivre la fin d’une enthousiaste discussion de corridor entre un résidant québécois, et son camarade, un étudiant manifestement étranger. Le Québécois, comme c’est son rôle, mais non sans poésie, lui disait l’hiver d’ici et sa froidure, mais aussi l’obstination que l’on mettra, dans deux ou trois semaines, à ne jamais quitter les intérieurs.

Deux ou trois semaines : j’ai peine à y croire. Certes, j’ai eu froid hier soir, en rentrant du théâtre, emmitouflé pourtant dans ma veste d’automne, et non sans quelque chose sous la chemise – soit le feuilleté habituel de mon janvier français.
Mais c’est que je n’ai pas encore apprivoisé la saison qui vient tout juste d’éclore.
Chaque matin, je m’hébète avec la même fraîcheur face au spectacle de cet automne total, qui se joue des vents et jette ses pluies et bruines sur les bois et les foules. Les tapis de feuilles chues qui couvrent les chemins, les arbres rouges ou flavescents, et l’air mouillé, gonflé d’odeurs de sous-bois, grisent mes allées et venues sur le campus. D’heureuses flaques d’eau ont remplacés les joueurs sur le terrain de basket, dessous ma fenêtre, et la nuit, chatouillées par la pluie, elles font vibrer les lueurs orange des lampadaires.

Et tout ce bazar de sensations denses et vives n’avait, il y a deux ou trois semaines, que de fragiles annonciateurs. J’irai donc présenter mes au-revoirs aux promenades nocturnes que je faisais sur le campus, avant d’aller dormir, ainsi qu’aux randonnées urbaines. Mais qu’on se s’y méprenne : je ne regrette rien, non, c’est seulement là la tentative de dire un peu, vis-à-vis ce superbe déclin, mon incrédulité fascinée.


dimanche 27 septembre 2009

Quelques petites choses sur le français québécois

Avec, si je ne m’abuse, douze sons supplémentaires, la palette phonétique du français du Québec est d’un tiers plus fournie que celle de Paris*, comprenant un grand nombre d’allophones et un autre, plus petit, de phonèmes que ne connait pas ou plus, ou presque plus, le vieux pays de France.

Nous vulgariserons excessivement les définitions d’ « allophone » et de « phonème » afin de ne pas nous étendre et de ne pas ennuyer, même s’il est bon de s’étendre quand on s’ennuie.
Nous dirons donc, pour commencer, qu’un « allophone » est un son que l’on peut employer à la place d’un autre sans changer le sens dénotatif du mot**. Ainsi, au Québec :

Voyelles
-Au [i] que nous connaissons se substitue fréquemment le [I], plus ouvert. « Plus ouvert », c'est-à-dire que la langue est plus éloignée du palais que lorsque nous prononçons un [i] : avec ces éléments, et à condition d’être tout seul chez vous ou de prévenir votre entourage de vos intentions, vous devriez être en mesure de réaliser ce [I] caractéristique du français québécois.
On emploiera le [i] dans « mon mari est ivre », mais on emploiera le [I] dans « la bille roule vite » : je ne peux rien prouver, mais il semble alors que le son [I] s’emploie dès lors où il n’est pas le dernier son du mot.
-Au [u], « ou », et au [y], « u », se substituent souvent le [U] et le [ʏ], plus ouverts. Pour le cou, je n’ai aucune idée de ce qui peut déterminer le choix de l’un ou l’autre son, mais je sais qu’on emploiera le [U] dans « toutes les poules vont vite », par exemple, et le [ʏ] dans « il y a de la pulpe sur la butte », par exemple.
-Le québécois connaît encore la distinction quasiment disparue en France entre le [ɛ̃], « in », et le [ẽ], « un », caractérisé par une projection des lèvres que ne connaît pas le premier son. Il connait en outre un [3̃] qu’il emploiera indifféremment pour les mêmes mots : « malin » [malɛ̃] ou « malin » [malẽ].
-De la même façon, le français québécois alterne librement entre le [ɑ̃], « an », le seul que nous connaissions, et le [ã], plus ouvert.

Consonnes
-Certains dialectes***, comme celui de Montréal, utilise le r roulé, [r], à la place du r de Paris ou de Québec, [ʁ].
-Fait particulièrement intéressant, un petit son [s] succèdent au son [t] et [d] lorsque ceux-ci sont suivis par les phonèmes /i/ ou /y/, ou par les semi-consonnes /j/ (« yeu ») ou /ɥ/. « Tu vas dîner où dimanche » se prononcera ainsi [tsyvadineudimɑ̃ʃ], « tsu vas dsîner où dsimanche », sans forcer sur le [s].
-Il existe enfin deux variantes que je ne comprends pas, mais que je note tout de même par soucis de ne rien dissimuler : au [t] et au [k], « carreau », « kimono », peut se substituer un même [c], qui utiliserait davantage le palais ; au [d] et au [g], « gaz », peut se substituer un mystérieux [ɟ], palatal lui aussi.

En fait, j’ai menti, le français du Québec ne connaît qu’un seul phonème. Un « phonème » est une unité sonore dont la substitution par une autre, contrairement à l’allophone, entraîne une modification de sens, donne un mot différent. Maintenant que l’on sait tout ça, on peut être plus précis à propos des « allophones » en le définissant comme les différentes réalisations possibles d’un même phonème. Exemple : le [R] roulé, le [r] de France et le [R] grasseyé sont les réalisations sonores d’un même phonème /r/.

Ce phonème typiquement québécois a peut-être existé en tant que tel en France, où il n’est plus aujourd’hui qu’un allophone, quand il n’a pas complètement disparu. Il s’agit du /ɜ/, plus ouvert et plus long, que /ɛ/, et qui permet par exemple de distinguer à l’oral le mot « maître » [mɜtʁ] du mot « mettre » [mɛtʁ]. Disons que, si vous prononcez [mɛtʁ] en dehors de tout contexte, un français se représentera un professeur ou un outil de mesure, ou un professeur avec un outil de mesure, c’est-à-dire un prof de maths par exemple, tandis qu’un québécois ne verra que l’outil de mesure.
De là, on s’imagine avec délice les possibilités de confusions et de scènes que réserve cette distinction sémantique à tout français qui désirerait s’aventurer au Québec et parler de métrique et d’enseignement.

PS : n'ayant que peu de documents sur les particularités du français québécois, il est probable que je découvre un jour quelque erreur ou maladresse qui me fasse éditer cet article.

PS (2) : maudit ! Le blog ne tolère pas certains signes phonétiques... Je dois donc préciser que les petits signes ~(tildes) sont censés être au dessus des lettres et non à côté.


* C'est le français que nous prendrons comme référence.
** On comprend par là que, si l’allophone ne change rien au sens du mot, il affecte en revanche sa charge connotative, permettant à l’auditeur de comprendre, par exemple, que le locuteur est québécois.
*** En effet, le français du Québec n’est pas plus un que celui de France, variant assez d’une région à l’autre pour engendrer quelques difficultés de compréhension entre Québécois, d’après certains témoignages.

mardi 22 septembre 2009

Matin trempé

« Il pleut doucement sur la ville » (A. Rimbaud)

Il pleuvait une pluie muette au matin d’aujourd’hui, et sans doute avait-il plu toute la nuit. Les feuilles mortes, rouge foncé et jaune pourri, collaient les dalles mouillées. Tout autour, le boqueteau fleurait le bois mort et le champignon humide.
Je cheminais dans le même sens que tout le monde. Nous marchions, donc, dans un silence que je jugeais singulier, alors qu’il ne devait pas l’être, et dans le petit bruit de souvenirs d'automne.
Quand la pluie a cessé, un brouillard s’est levé. Il a fait un ciel bas d’un gris presque bleu, et les étages des immeubles se sont estompés. Et il y eut bientôt quelque chose dans l’air de dense et de lugubre, qui m’a, je le dis, beaucoup plu.

lundi 14 septembre 2009

13 septembre 1759

Triple zut ! Je m’étais juré d’écrire quelque chose au sujet de la bataille des Plaines d’Abraham lorsque viendrait son anniversaire, et je l’ai juste manqué, oublié, zappé. Pas la moindre petite odeur de salpêtre n’est venue chatouiller mes narines imaginaires, pas la moindre détonation n’a retenti dans mon crâne, trop préoccupé de présent, probablement, ce jour là.
Et puis, le jour d’après, je n’avais plus envie d’écrire. Et aujourd’hui non plus, d’ailleurs, mais il est encore temps d’être en retard avant de devoir fêter un non-anniversaire.

Donc, la chose est que, dimanche dernier, le Québec a fêté le 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham, laquelle se déroula, comme son nom l’indique, non pas dans le parc éponyme mais plutôt à l’endroit où se trouve l’actuelle avenue Cartier – mais c’était des plaines, avant, avec tous les écureuils et les ours qu’on connaît bien, maintenant.
Les festivités eurent lieu le 13 septembre 1759. La guerre de Sept Ans battait alors son plein, et James Wolfe, général de sa Majesté le roi d’Angleterre, tenait le siège de Québec depuis le mois de juin, mais sans trop savoir comment la prendre définitivement – les troupes françaises étaient alors plus nombreuses que les siennes, et un premier débarquement avait déjà échoué en juin.
Pour sa seconde tentative, Wolfe fit le choix de la discrétion en faisant débarquer ses troupes dans la nuit du 12 au 13 septembre. Lorsque les sentinelles françaises s’en aperçurent, l’armée anglaise avait déjà atteint les hauteurs de Québec.
Le Marquis de Moncalm, général de l’armée française, se trouvait alors à Beauport, et n’eut d’autre choix que de rejoindre Québec au triple galop, seul. Il laisse derrière lui près de 1500 hommes, abandonnant dans l’urgence l’avantage d’une nette supériorité numérique pour se retrouver en nombre égal devant les troupes de Wolfe.
La bataille durera vingt minutes environ et verra la défaite de l’armée française, ainsi que, fait piquant, la mort quasi synchrone des deux généraux : une balle atteint Montcalm dans le dos au cours d’une retraite, tandis que Wolfe en collectionne cinq avant de mourir, dont une qui lui arrache les doigts de la main droite. Cependant, ne le plaignons pas : le petit sir avait choisit son destin, en annonçant, au début de la guerre, qu’il « donnerai(t) volontiers une jambe ou un bras pour posséder Québec »… Alors quelques doigts, c’est « pas si pire ».

Ci-dessus : reconstitution de la bataille des Plaines par Akira Kurosawa

La bataille des Plaines d’Abraham scelle la fin du Canada français. Le Royaume de France, épuisé par une guerre qu’il mène aussi en Europe et en Inde, choisit d’abandonner sa colonie américaine, approuvé par les mots d’un Voltaire qui continue de distiller l’amertume dans les esprits québécois : « Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu'elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. » (Candide)
N'empêche. A l'époque de Montcalm, la moitié de l'Amérique du Nord était française. Les possessions du roi s'étendaient du Québec à la Lousiane, en passant par le Mississipi et tous ses affluents. P'tête ben que, si les français avaient gagné la bataille, tout le monde lirait Voltaire dans le texte, en Amérique.

vendredi 11 septembre 2009

Chanson naïve


J'irai chanter la nuit sous les toits de Québec,
Quand reviendra l'hiver, quand blanchira l'église,
Et frotter mon archet sur mon petit rebec
Quand tombera la neige et soufflera la bise ;

Je chanterai ton nom au coin des cheminées,
Quand rougira le feu, quand coulera la bière,
Et danserai pour toi jusqu'au petit lever
Tant qu'iront les flocons et les bonnes prières ;

Et quand viendra le jour, et ses rayons diaprés,
J'irai me reposer de mes tendres ballades
Pour en dormant guérir mes sentiments malades ;

Et quand fondra la neige, et quand je t'oublierai,
Tu chanteras pour moi jusqu'à l'autre saison
Et frotteras l'archet sur ton petit violon.

mercredi 9 septembre 2009

L'été se meurt

Le trois-quarts de mois passé au Québec n’aura accusé qu’un seul jour de pluie, je crois. Nonobstant cette averse, c’est depuis la fin du mois d’août un soleil perpétuel, tantôt solitaire dans son ciel bleu, tantôt accompagné de légers cumulus.
Les températures peuvent osciller assez considérablement en une même journée : un petit vent « frette » peut venir rompre à tout moment la chaleur estivale, puis s’estomper comme si de rien.
Les fins d’après-midi sont aussi belles qu’en France à cette époque de l’année ; j’y retrouve les lumières rases et lustrées, feutrées, qu’embellissent les feuillages mouvants quand ils les projettent et les divisent sur les sols et les murs, et qui me semblent caractéristiques, depuis le temps que je les aime, du dernier mois de l’été.
Il est d’ailleurs particulièrement agréable de se promener en forêt à ce moment de la journée, que ce soit sur le campus ou sur les Plaines d’Abraham, quand il fait doux le soir et que se mêlent aux bruissements des arbres les ris et bavardages des derniers promeneurs.

Difficile d’imaginer, alors, que tout ce qui m’entoure disparaîtra bientôt sous la neige et la glace. Et pourtant, l'abondance des conifères, les toits plats ou aigus, les murs épais des vieilles bâtisses, tout fait signe que l’hiver n’est au mieux ici qu'un roi qui dort.
Un peu partout, les feuilles mortes ponctuent de jaune les pelouses vertes ; ça et là, les forêts roussissent, et quelques arbres, précoces, ont déjà revêtus leurs pourpres fantastiques ; l’automne s’annonce, et je vais bientôt assister à l’un des plus beaux spectacles de la nature québécoise. (Non, non, il ne s'agit pas de la ceuillette des pommes.)

Je conviens que cette photo ferait sans doute une vignette idéale pour décorer ses cabinets dans un style un peu rétro, mais d'une manière ou d'une autre, il semble que la publication d'images ici les dégradent considérablement, et la médiocrité de mon appareil n'aide pas non plus à donner idée des jolies nuances de ces deux arbres. Je tenterais peut-être, la prochaine fois, de me contenter de gros plans, moins réfractaires à la mise en ligne que les vues d'ensemble.

mardi 8 septembre 2009

Avec la grâce de Dieu, à nul autre comparable

L’Université Laval est la 4e plus ancienne des universités nord-américaines, c’est-à-dire qu’elle est très jeune si on veut la comparer à ses homologues européennes. Fondée en 1852 et construite dans ce qui allait devenir le « quartier latin » de Québec, l’Université Laval est une progéniture de la reine Victoria et du temps où le Royaume-Uni pouvait encore faire ses pâtés de sable dans son joli dominion. Cependant, la petite histoire, si gentille puisse t-elle paraître avec ses petites tresses, est en réalité truffée de nid-de-poules.
Ainsi, l’Université Laval ne doit pas son nom à la reine Victoria, comme on peut s’en douter, mais au bien illustre premier évêque de la Nouvelle-France François Montmorency-Laval, de qui Alexandrine Victoire reprendra le dernier morphème pour baptiser sa création. Car il faut savoir que François Montmorency n’a jamais fondé la moindre Université Laval, mais seulement le Séminaire de Québec en 1663, auquel sera d’ailleurs confié, deux siècles plus tard, la gestion de l’Université Laval – et là, je suis aussi perdu que vous.
Quelques années plus tard, en 1971, l’université dont la devise est encore « Deo favente haud pluribus impar » (avec la grâce de Dieu, à nul autre comparable) perdit sa confession et devint tout à fait laïque.

Ce bric-à-brac historique est à l’origine d’un nœud de malentendus qui n’en finissent pas d’alimenter les énigmes et les faits divers. En effet, beaucoup ne comprennent pas qu’il puisse y avoir une Université Laval à Québec plutôt qu’à Laval, et il doit sans doute exister des Lavallois pour prendre la chose comme le signe du plus haut mépris. D’autres vont jusqu’à écrire « Université de Laval », ainsi que moi fut un temps, ce qui rend la confusion plus effective encore, et ce qui me fait dire qu’il est heureux qu’il n’existe pas d’université à Laval, sans quoi nombre d’étudiants voyageurs s’étonneraient, à leur arrivée, des airs de banlieue montréalaise de Québec.

Néanmoins, l’Université Laval reste un lieu d’étude et de vie extrêmement agréable. Les facultés y sont réparties en vastes pavillons qui, quoique d’une architecture un brin fascisante à mon goût, ont le mérite d’être lumineux, bien agencés et très confortables.
En dessous, un vaste réseau souterrain les relie, mais au dessus, ils sont séparés les uns des autres par quantité de pelouses, d’allées boisées et de jardins. En fait, l’omniprésence végétale est ce qui me plaît le plus ici : le bruissement des arbres, les essences multiples, la jeunesse oisive étalée sur le gazon, accumulant dans ses chairs les derniers rayons de l’été (rira bien qui rira le dernier !)…

Il y a même un bois naturel où l’on peut croiser, entre deux course-poursuites d’écureuils, des poètes en mal de siècle et des professeurs cherchant des raccourcis. C’est aussi un lieu idéal pour jouer aux jardins de Platon et d’Epicure, ainsi que la zone ayant sur le campus le plus fort taux de criminalité.

samedi 5 septembre 2009

De quebecuis ursidis

Je pensais que l’immensité des forêts canadiennes suffisait à repousser jusqu’à un seuil quasi mythologique les chances de tomber nez à nez avec un ours. Hé bien ! J’ai maintenant la preuve absolue du plus parfait contraire : quiconque s’aventure en forêt canadienne est à peu près sûr d’y trouver un grizzli, si ce n’est un ours noir.
En effet, le passe-temps principal d’un voyage en stop étant de se raconter les aventures plus savoureuses les unes les autres qui ont jalonnés notre vie jusqu’à la coïncidence de nos chemins, j’ai eu la chance, par deux fois – c’est-à-dire : en allant à Montréal, puis en remontant à Québec – d’apprendre ce qui se passe lorsqu’un Québécois part se promener en forêt. Et à chaque fois, vous l’aurez compris, il y a un ours.
Durant le voyage qui devait me conduire à Montréal, le récit était celui du chauffeur. Pour planter le personnage, disons qu’il s’agissait d’un homme (il s’appelait Pascal) dont l’équilibre existentiel reposait sur une oscillation régulière de son désir entre la vie urbaine, excentrique et libidineuse, et la vie dans le « bois »*, ascétique et silencieuse, oscillation que sa situation lui permettait de réaliser sans qu’on sache vraiment comment.
Pascal s’apprêtait à finir une longue période passée dans le « bois »* et rangeait ses maigres bagages d’artiste bohème dans le coffre de son « char », quand il eu la sensation soudaine, mais comme si elle ne faisait qu’apparaître à sa conscience après avoir longtemps été là, d’une présence tout à fait inconnue flottant comme un brouillard derrière son dos.
C’était l’ours. Un jeune ours brun, à peine adulte encore, que la curiosité avait probablement fait remonter les effluves volatiles du dentifrice de Pascal – il parait que les ours raffolent des produits dentaires. Dès que Pascal se retourna, la bête, par jeu ou pure agressivité, ou sans raison, le chargea.
Tandis que l’énorme bête courrait vers lui, tel un chien se précipitant vers son maître pour lui faire la fête, mais en plus gros et avec d’autres intentions, le poète calcula qu’il ne savait pas encore y faire avec les ours et s’en remit donc à son instinct, lequel lui commanda… de charger l’ours à son tour.
Qui eût cru que l’être humain, dans sa fragilité larvaire et sa pilosité réduite au duvet ornemental, fût jamais été capable de vaincre le grand ours, royal prédateur des virginités nord américaines ?
Et pourtant ! Malgré les doutes grammaticaux, il faut bien redire qu’à la vue de cette chose étrange et blanche courant vers lui avec des gestes désarticulés, et qui devait faire un contraste comique avec le paysage de pins verts sombre, l’ours prit ses quatre pattes à son cou velu et s’enfuit en couinant, comme un chien apeuré, mais là encore, en d’autres proportions.




La thèse de la systématicité des rencontres hommes / ours lors de promenades sylvestres ne tiendrait pas si c’était là mon unique référence, aussi dois-je faire le récit de ma seconde expérience pour pouvoir appuyer la loi que j’ai énoncé en premier lieu.
Il y eut en effet un retour à Québec avec d’autres petites histoires pour voyage en stop. Cette fois-ci, la rencontre oursonne fut le récit d’une autre passagère, une étudiante en sciences compliquées qui s’amusait de n’avoir encore jamais rencontré ni baleines ni belugas depuis le temps qu’elle vivait au Québec, quand le moindre touriste français – sauf moi – lui disait en avoir aperçu.
La pauvre – je ne sais pas son nom - avait une peur préalable des ours, et on avait dû lui assurer qu’il n’y en avait pas dans la région avant qu’elle ne se décide à se promener dans la forêt du lieu où elle était. A coup sûr, la région en question devait manquer de bonnes histoires, car il fallut que la jeune étudiante trouvât un ours sur son chemin tandis qu’elle était seule. S’en remettant elle aussi à son instinct, mais imprégnée tout comme mon premier chauffeur par l’éducation qu’on lui avait donné, elle choisit non pas de charger la bête mais de crier très fort. Et il faut bien avouer que cette méthode fut tout aussi efficace que son pendant viril, car l’ours, irrité peut-être par la hauteur des sons générés, débarrassa le chemin et laissa la vie sauve à la jeune étudiante, honnête compensation pour l’acquisition d’un traumatisme à vie des promenades dans les bois.
De ces deux histoires, plus qu’une simple fréquence, il faut tirer une morale : quelque soit votre sexe, et quelque soit votre âge, sachez qu’il y aura toujours un ours pour vous rencontrer lorsque vous vous promènerez dans la nature. Il sera toujours là où vous ne vous y attendiez pas : derrière votre dos si vous pliez bagages, sur votre chemin si on vous a dit que l’endroit était «sécuritaire».

Est ursida semper.

Il y a toujours un ours. D’où d’ailleurs que les québécois ne disent plus « il y a anguille sous roche », mais « il y a ours sous roche », puisque, si les français rencontrent sans cesse des anguilles, les québécois, eux, n’ont de cesse de rencontrer des ours.

* Un article oublié précisait que les québécois préfèrent le terme de « bois » à celui de « forêt », connotée par l’idée d’une nature policée, jamais tout à fait vaste ni sauvage, comme elle peut l’être aujourd’hui en France.

mardi 1 septembre 2009

Merci !

C’était une petite maison rue Sainte-Anne, « au centre du Vieux-Québec », avec un chat tout doux et tout craintif, des bruits de sabots provenant de la rue, un petit jardin où jouaient des écureuils et des hôtes on ne peut plus accueillants. J’ouvrais la porte, et c’était des architectures sorties de quatre siècles, puis la rue Saint-Jean, puis les vieux remparts. Quelques pentes, et je prenais un sandwich fait dans un croissant, une barquette de bleuets au Vieux-Port, une photo du ciel sur les toits de Québec, le bus pour aller voir ceci cela, ceux-ci ceux-là, ou la voiture pour aller à Montréal.
Ainsi, je conserverai un souvenir excellent de ces premiers jours québécois.

Merci à Guillaume et Marie-Eve pour m’avoir si impeccablement hébergé chez eux pendant plus-d’une-semaine-au-lieu-de-deux-jours-parce-que-je-m’étus-trompé-!


PS : la photo ne représente pas la rue Sainte-Anne, mais tant pis.