lundi 19 octobre 2009

Un pestacle

Cette année, le théâtre du Trident – principal théâtre de la capitale – a choisi d’ouvrir sa saison avec une création québécoise pur jus, Reconnaissance. Québécoise, l’œuvre est aussi collective : coproduite par le TNT et le Théâtre Nouveau Parking (quel nom étrange…), mise en scène par Michel Nadeau, elle s’est élaborée sur l’alternance de moments d’écriture et d’ateliers d’improvisation – ce fut donc pour moi l’occasion de découvrir un peu la production locale dans toute sa fraîcheur.

Bon, autant le dire, je n’ai pas saisi la particularité québécoise de ce spectacle – du moins, pas sur le plan esthétique. De nombreux papiers assurent que la discordance et l’incompréhension entre père et fils est toujours lourde de symbolisme pour un québécois, mais elle le serait ailleurs aussi, même si d’une autre manière, m’est avis. J’ai vu un spectacle contemporain occidental, disons ; mais je n’ai peut-être pas bien vu – j’ai aimé, c’est l’essentiel.

Mais il vaudrait mieux commencer par dire ce que ça raconte, Reconnaissance. Sauf que l’affaire est bien emmêlée : essayons quand même.
François, jeune metteur en scène obsédé par Hamlet, tombe dans le coma, et dès lors son père n’a de cesse de retrouver ses traces pour tenter de le comprendre, et de le réveiller. C’est le fil principal, mais il croule sous une toile épaisse de fils seconds : l’histoire de la petite amie de François, des membres de sa troupe, de sa mère, du couple qu’elle fait avec le père ; mais aussi l’histoire d’autres personnes mêlés au coma de François : celle de son médecin, ou encore celle de son infirmière, qui ne parvient à faire le deuil de son nourrisson, et qui correspond sans le savoir avec le père via internet. L’enchâssement des espaces temps, créés temps par la construction de la fable que la scénographie, achève de briser toute linéarité.

En quelque sorte, Hamlet est la figure principale de Reconnaissance.
Il est toujours invisible : l’acteur qui l’interprète dans le spectacle de François abandonne le projet avant sa représentation, et parce que François avait décidé d’en répartir le monologue le plus célèbre entre tous les comédiens. Mais en même temps, il est partout, démultiplié, divisé parmi les quêtes identitaires. Hypertextuel, aussi, certaines scènes du spectacle de Nadeau se confondant avec celles de Shakespeare, dont celle du crâne.
Ophélie a aussi sa place, parce qu’elle est le pseudonyme de l’infirmière endeuillée – certains ont même vu le Roi Lear ici ou là.

Au-delà de Shakespeare, ou, disons, par Shakespeare, c’est toute la perle irrégulière du baroque qui vient rouler sur la scène et y lancer ses troubles éclats.
D’abord parce que le théâtre est au cœur du spectacle : théâtre mis en abyme, « le monde est un théâtre », etc., qui amène naturellement au thème de l’illusion : celle de la mère, par exemple, qui se brise lorsque son mari lui révèle qui ne l’a jamais aimé ; l’illusion des rêves, aussi, ceux du père, celui de l’infirmière qui voit son enfant lui parler, ou encore la réalité seconde dans laquelle flotte François tandis qu’il est dans le coma – tout ceci n’allant pas sans les interrogations relatives au degré de réalité de la vie onirique.
On peut aussi parler de la vanité de la vie qui apparaît au fond des culs-de-sac où mènent les interrogations, et de la mort qui lui est liée, et qui là côtoie plus que jamais le sommeil à travers le coma. A tout ça, ajoutons une figure, le fantôme : celui d’Hamlet, nous l’avons déjà évoqué, mais aussi celui du père, qui prétend n’avoir jamais mené qu’une vie fantomatique depuis sa lointaine tentative de suicide – ce qui, évidemment, a été fait exprès par Nadeau pour déstabiliser mon idée de mythe en miroir, puisque du coup le père de François est un fantôme comme celui d’Hamlet.

Pour conclure dans les règles de l’art, je changerai brutalement de sujet en parlant un peu du théâtre du Trident.
Son hall confortable et chaleureux vous accueille si bien qu’on a envie de venir beaucoup trop tôt pour y manger un muffin dans un fauteuil moelleux (ou un muffin moelleux dans un fauteuil) en attendant de se précipiter dans la salle. A la sortie, on s’émoustille aussi de pouvoir voter la qualité du spectacle en glissant son billet dans l’un des trous percés dans le mur du vomitorium – désolé pour ce mot, mais le rituel comme le bouillonnement de la foule à la sortie forçaient l’antiquité. (J'ai voté : "beaucoup".)

Reconnaissance
Texte et mise en scène : Michel Nadeau
Scénographie : Monique Dion
Costumes : Julie Morel

Avec : Lorraine Côté, Claudiane Ruelland,Valérie Laroche, et les autres

1 commentaire:

  1. Par souci de précision, je crois que c'est "Théâtre Niveau Parking", pas "nouveau". Je viens de faire un petit tour sur leur site (d'ailleurs très joli) et ils auraient d'abord eu l'idée de jouer dans un stationnement sous-terrain - d'où le nom. J'ai adoré le spectacle :)

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