jeudi 31 décembre 2009

Les gens n'aiment plus l'hiver I

La Mère :
Les soirées d'hiver
C'était donc tranquille
Tout ce qu'y avait à faire
C'était de s'asseoir
Pour écouter la grosse truie
Qui ronflait
Qui nous réchauffait.
L'hiver a toujours été
Ce que j'ai préféré.

Médéric : On gelait ! Maudi torvisse, on gelait ! Debout dans la neige jusqu'à la ceinture à essayer de défricher ce maudit terrain. Le vent soufflait pour nous geler les narines pis les sourcils. Y avait des gars qui étaient trop fiers pour dire qu'y avaient frette. Des fois y en tombaient malade, assez malade qu'y revenaient jamais !

A. Paiement, La vie et les temps de Médéric Boileau

Lac gelé, quelque part dans les Laurentides

Skieurs de fond sur les Plaines d'Abraham, à Québec

samedi 19 décembre 2009

In french, please.

Soit qu’elles sont comiques, soit qu’elles n’existent pas, les indications sont assez peu satisfaisantes au Québec pour qu’on en vienne souvent à demander son chemin et, se faisant, à multiplier les anecdotes. J’étais ainsi à Montréal et tout frais sorti de la très parisienne station : Champ-de-Mars, et j’avais dans l’idée de rejoindre le bord du Saint-Laurent en même temps que je ne savais pas de quel côté partir : d’où que j’en vins, une fois de plus, à couper le galop du premier passant venu pour lui demander mon chemin.
Je lui fis une question bien française et la mieux tournée du monde, mais il y a fort à parier qu’il ne la comprit pas, comme il me répondit, sitôt mon point posé :

-In english, please.

On n’est pas longtemps a Montréal sans comprendre qu’un bon bout de Canadiens n’y comprennent pas un traitre mot de français, et comme ce n’était pas la première fois – oh, loin de là ! - que mon guide d’un instant ne le connaissait pas, et qu’on n’est jamais trop malheureux de s’essayer à d’autres langues, je me reformulai bien vite en latin :

-Do you know where is the river?

La magie opéra : j’eus de suite ma réponse, et nos chemins se délièrent sur un sonore “thank you so much”, que je regrette à présent. Parce que ce monsieur, dont les intentions n’étaient sans doute pas mauvaises, n’a pas dit : “I don’t speak french, do you speak english ?”, il a dit :

-In english, please.

On se souvient de cette dissertation que fit un Allemand du XVIIIe siècle pour montrer qu’il en va du bon cholestérol que de parler français, que cette langue a fait des enfants à la Vérité et qu’on a avantage à la répandre autour de soi comme Sganarelle le tabac. L’anglais aurait-il à ce point récupéré ces vertus qu’on puisse l’exiger de tout un chacun en n’importe quelles circonstances, et quand bien même on ne serait pas en pays tout-à-fait anglophone ? Serait-ce risquer un ridicule que de douter que son interlocuteur le connaisse, assez pour employer l’impératif ? C’est bien plutôt le Montréalais francophone qui devrait répondre à ses interlocuteurs : “en français, s’il vous plaît”, parce que c’est encore le Québec ici, et parce qu’il en va de la survie de sa langue dans la plus grosse ville de son État où, me dit-on, elle régresse comme neige au soleil – gros tas de neige, certes.
Certains le font sans doute ; mon hôte, en tous cas, dit ne pas répondre aux Montréalais qui ne lui parlent qu’en anglais : quoiqu’il y ait une violence certaine à refuser de répondre dans la langue de son interlocuteur tout en exigeant qu’il en apprenne une autre, je crois que c’est ici plus sage que de se montrer civil, du moins dans les aires cosmopolites où, comme ici, une langue officielle mais fragile commence à reculer face a un géant qui, osons-le, n’a pas besoin d’être défendu.


mardi 15 décembre 2009

Les douceurs d'Orléans

A la fin du mois de novembre, époque qui me semble lointaine aujourd’hui que la neige a tout recouvert, et tout modifié, une amie du Connecticut est venue qui n’a pas boudé ma proposition d’aller voir un peu le marché du Vieux-Port, celui-là même où j’avais goûté mes premiers bleuets, et qui est l’endroit nécessaire à qui veut tâter du produit local, hors poutine. Nous nous sommes approchés de l’étal d’un producteur de l’Ile d’Orléans et nous sommes laissés happer par sa verve commerciale, logorrhéique mais, nous l’avons vérifié par la suite, oh combien pittoresque. Cependant que je tentais de savoir si mon amie buvait les paroles du monsieur, au reste charmant, ou si elle avait certain talent pour la comédie, on nous donnait tour à tour des échantillons de produits à base de pomme, comme c’est la spécialité de ce producteur là, et, quoiqu’ils étaient, naturellement, de très petite taille, leur nombre fut assez grand pour nous donner après la sensation d’avoir « bien mangé et bien bu » - assez, du moins, pour nourrir la culpabilité de celui qui n’achète pas.

De droite à gauche : mon amie Marine, un monsieur sorti
de Shinning ou de Pet Semetary, le marché du Vieux-Port.

Quelques jours plus tard, nous sommes retournés au marché avec la ferme intention de prendre une bouteille à notre insulaire. Après avoir refait la série des échantillons, parce que, comme la Sophie des malheurs, on ne peut choisir un unique chocolat sans connaître tous ceux de la boîte, nous nous sommes accordés sur une « mistelle de pomme et de sirop d’érable », vin de pomme certes un peu fort, mais d’une saveur unique. Cependant, un porte monnaie mieux garni ne devra pas s’arrêter là, car il y a parmi ces liquides bien d’autres combinaisons, et tout autant de plaisirs introuvables – sauf le moût de pomme, qui compte pour du beurre puisque nous en avons l’équivalent en France, bien que nous l’appelions uniquement par la marque qui le monopolise.

De gauche à droite : avant la bouteille,
après la bouteille.

A propos de beurre, l’étal orléanais proposait aussi de succulents beurres de pomme, produit très répandu au Québec, et que je n’ai pas goûté là pour la première fois, mais pas non plus pour la dernière. C’est, parmi tout ce que nous avons essayé, peut-être le plus facile à décrire : il faut imaginer une compote dont la texture est très fine et dans laquelle se retrouvent les notes profondes du beurre chaud : délicieux. Et je ne parle pas du beurre d’érable, mais c’est que le marchand n’en proposait pas.

mercredi 9 décembre 2009

Première tempête de neige

Dimanche dernier, c’était encore une dépression en développement au-dessus d’un Colorado lointain, mais dont on prévoyait déjà qu’elle serait poussée par les vents du sud, et que, s’acheminant ainsi vers l’est du Canada, elle prendrait de contrées en contrées davantage de puissance, pour en atteindre le dernier seuil à l’abord des régions de Montréal et de Québec. Tant attendue, tant redoutée, la voici, la tempête de neige, la première de l’hiver, et la fin de l’automne ! Et jamais je n’ai suivi d’aussi près un phénomène météorologique.

Proust – comme nous ne sommes pas à la Réunion et qu’il y a des plaisirs qu
’on manque à ne pas avoir de cyclones, nous aurons bel et bien la fantaisie de nommer nos tempêtes de neige – a le mérite d’avoir été ponctuel, comme en effet on l’annonçait pour aujourd’hui et qu’il n’y a pas manqué ; sa venue fut d’autant plus théâtrale que les jours précédents avaient été calmes et lumineux.

7h30.


J’ouvre les rideaux : le ciel est gris, le vent s
emble assez fort, mais pas tant que ça. Le petit « météo média » en bas de l’écran de l’ordinateur indique qu’il fait -7° et qu’il tombe une « faible neige », ce qui est tout à fait faux, et d’ailleurs je m’offusque. Je m’en vais m’enfermer dans un amphithéâtre pour un examen.

8h30.

Le professeur de linguistique, dont la neige, en trente-trois ans de carrière, n’a jamais interrompu le moindre cours, arbore un grand sourire de vainqueur et distribue ses copies. « La tempête, c’est après mon cours, mais jamais pendant. »

10h00.

Je sors de mon examen en espérant d
écouvrir, à travers la première fenêtre venue (mon amphithéâtre n’en avait pas) un gros tapis blanc et des gens emportés par les vents furieux ; mais, comme on s’en doute, il n’y avait rien à cette heure. Je sors, je note le bruit sec que font les feuilles mortes qui roulent sur le sol gelé, et les gens qui parlent ou jurent à propos d’une tempête qui doit s’être attardée dans une boutique-souvenirs à Montréal. Je vais à la bibliothèque.

Vers 12h40.

Deux ou trois flocons, puis rien ; et puis, deux ou trois à nouveau, mais suivis cette fois, et bientôt la musique se fait plus régulière, il commence à neiger, et de plus en plus fort.

Plus tard.

Le vent est trop vif et le sol trop sec pour que la neige s’y accroche, les dépôts sont ainsi balayés et font de petites brumes affolées au-dessus du sol, lesquelles donneront bientôt la « poudrerie » dont le tocsin sonne depuis ce matin sur météo média.



Et un peu plus tard...

Le tapis se forme nonobstant.



Vers 16h00.

Je quitte la bibliothèque et veux rentrer chez
moi ; évidemment, il est hors de question d’emprunter les couloirs souterrains. Dehors, la bordée m’arrive jusqu’aux chevilles, et parfois plus haut, comme le vent la rend irrégulière et forme des dunes à partir du moindre relief. Le vent est violent et glacial, plein de poudrerie, il faut marcher la tête baissée et chaque pas est un effort ; non loin de moi, une fille qui progresse aussi mal que moi, me voit et se met à rire, et c’est bien sûr contagieux. Il n’y a pourtant pas de raisons pour, sinon peut-être – elle est sans doute toute imaginaire – celle que nous en soyons tout coup là, à jouer les explorateurs polaires de seconde zone juste pour rentrer chez nous, alors qu’hier encore tout était vide, et la nature indifférente.
L’his
toire de Proust n’est pas finie. Il est né au-dessus du Colorado, il a fait des orages et des tornades dans l'est des Etats-Unis, et il poursuit son développement monstrueux en déversant ses neiges et ses vents sur le Québec ; nous en reparlerons peut-être, et vous laissons sur un portrait de la bête.

Proust, tel qu'il était mardi.

Oh, quittons-nous plutôt sur un portrait de moi, parce qu'on ne m'a pas assez vu ici depuis un certain muffin, et parce que cela fait un prétexte pour ajouter là une image enneigée ; voici.


samedi 5 décembre 2009

Une affaire Tartuffe

Notre histoire littéraire fait bonne place au Tartuffe et à son affaire, fameuse s’il en est, où l’on vit – souvenez-vous – le propriétaire de la langue française brandir l’étendard de son œuvre contre les dévots qu’elle avait offensé.
Souvenez-vous, c’était en 1664 : la reine-mère Anne d’Autriche s’était offusqué de la représentation du Tartuffe à Versailles et avait lancé, appuyée par ses camarades religieux, une cabale qui en avait obtenu l’interdiction par le roi, lequel hypocrite l’avait pourtant bien aimé. Mais Molière avait de son côté Madame de la Sablière, un légat du Pape et les solaires hésitations du goût royal, aussi finit-il, après moult remous, par obtenir que l’interdiction soit levée : et l’ « affaire Tartuffe » resta dans l’histoire comme une victoire de l’art contre l’oppression, en France.

On sait moins les sinistres conséquences qu’eut cette pièce en Nouvelle-France. La fin du XVIIe siècle vit à Québec la création d’un festival annuel, le Carnaval d’Hiver, où l’on allait pour se divertir du froid et où le théâtre tenait bon rang, tout financé qu’il était par le pouvoir local.
Durant l’hiver 1693-1694, un jeune officier et comédien dilettante, Jacques de Mareuil, se mit en tête de monter le Tartuffe, lequel ne posait plus de problèmes depuis trente ans. Mais c’était sans compter sur le clergé local, et l’évêque de Québec, dont nous dirons ici le nom parce qu’il est drôle : Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, sitôt qu’il eut vent de ce projet, condamna les intentions du soldat-comédien et publia deux mandements qui, loin de s’en tenir à la sulfureuse comédie, fustigèrent le théâtre tout entier. Accusé d’impiété, l’officier se défendit et la nouvelle affaire fut portée devant le Conseil Souverain. Celui-ci hésita d’abord à rendre son verdict, comme il était délicat pour lui de se mettre à dos ou le clergé ou l’armée, puis fit arrêter Jean de Mareuil. Fort heureusement, l’audacieux militaire ne fut pas longtemps en prison, comme le gouverneur Frontenac se mêla bien vite à l’affaire et, jugeant qu’ « il s’y [était] mêlé beaucoup de partialités et de passions particulières », et qu’il n’y avait aucune preuve contre Mareuil, le fit libéré. Mais c’était à la condition de ne plus faire de bruit : Mareuil fut aussitôt rapatrié en France et ne revint plus dans la méchante colonie, qui, forte de ses mandements balayant le théâtre de sa vie culturelle, n’en eut quasiment pas jusqu’à la conquête anglaise, et pas beaucoup plus ensuite comme les anglais n’annulèrent pas les textes épiscopaux, si bien qu’il lui fallut attendre le XXe siècle pour avoir ses premiers grands auteurs et metteurs en scène.

Bibliographie :
GREFFARD & SABOURIN,
Le Théâtre québécois, Montréal, Boréal, 1997
PLOURDE & DESJARDINS,
400 ans de théâtre au Québec, Montréal, Beauchemin, 2008

jeudi 3 décembre 2009

Quand le curé n'est pas là

Quoique cela ne fasse qu’ajouter en redite à la multitude des articles disponibles à ce sujet, et bien que le témoignage, s’il se veut personnel, nécessite un certain empirisme et, par conséquent, quelque chose d’un peu suspect s’il s’en tient là, il m’apparaît qu’un carnet québécois ne saurait avoir un goût d'achevé si, abordant tout sujet, il lui manquait une considération ou deux sur cette pierre angulaire, cet élément proéminent (nous exagérons déjà) des langues québécoises, acadiennes et franco-ontariennes : le sacre.

La coercition cléricale, qui pèse sur l’histoire du Québec des origines à la Révolution Tranquille, a favorisé au milieu du XIXe siècle l’émergence d’un complexe de jurons rangés sous trois paradigmes : celui des personnages de la Bible, celui des concepts chrétiens et celui, plus connu, des objets du sanctuaire. On devine bien le soulagement que pouvait procurer, vis-à-vis de l'institution, l’emploi transgressif de ces mots, en même temps qu’on ne saurait y voir la naissance d’un athéisme : il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que la religion recule sensiblement. Les mots avaient donc double emploi, et sitôt passé le seuil de l’Eglise, le pratiquant québécois retrouvait toute sa déférence pour le tabernacle et l’hostie. Comment ? Sans doute parce que la fonction du sacre est purement expressive, non référentielle : on ne pense pas à la chips divine lorsqu’on lance un « hostie ! ». Mais dès lors où le mot retrouve sa fonction référentielle, il quitte le domaine profane et recouvre sa charge sacrée.


Cependant, on voit très clairement que cette distinction n’a pas suffit. En effet, une littérature abondante privilégie une orthographe des sacres nettement différente de celles des mots religieux, quand bien même cette orthographe n’a aucune réalité phonétique : on préfère ainsi « ostie » à « hostie ». En revanche, d’autres termes, et parmi les plus employés, se sont réellement distingués de ceux dont ils tirent leur origine : il en va ainsi du sacre le plus fameux, qui n’aurait aucune raison de s’écrire « tabernacle » puisqu’on ne le prononce jamais [tabernakl] mais bien plutôt [tabarnak], ou encore de « câlisse », qui écrit ainsi suggère une prononciation différente de la première voyelle.

Façon ou non de se détacher du mot religieux, ces orthographes et prononciations variables pointent une caractéristique fondamentale du sacre franco-canadien : sa nature profondément polymorphe. En témoigne ces quelques déclinaisons :

Ostie, estie, astie, stie
Câlisse, câlique, colasse
Ciboire, cibouère
Tabarnak, tabernik


Encore que certains sacres ne varient guère : si cette polymorphie est fondamentale, c’est surtout en raison de la facilité du sacre à voguer d’une catégorie grammaticale à l’autre, quittant l’interjection pour se substantiver, et de nom devenant adjectif, puis adverbe, et parfois même verbe. Plutôt qu’une liste exhaustive montrant quel sacre peut être employé sous quelle forme, nous nous contenterons de vous laisser rêver sur quelques exemples :

Interjection : « Stie ! J’ai laissé l’écureuil dans ma trousse. »
Substantif : « L’estie / le ciboire / le tabarnak / le criss / le câlice d’écureuil a encore mangé tout le grain des oiseaux. »
Adverbe : « Cet écureuil est câlissement doué. »
Verbe : « Je vais en câlisser une à ton écureuil si y décrisse pas tut’suite. »
Verbe + préposition : « Cet écureuil me met en maudit. »

Cette malléabilité grammaticale permet la création de phrases tout à fait logiques : « Stie ! Le tabarnak a sacrament crissé le ciboire de câlice… ».
En outre, le sacre se prête extrêmement bien à la combinaison, au point que le but du jeu semble parfois de tous les dire en un seul souffle – si on compte les variantes, il faudrait inventer un concours. Le français se plaît aussi à enchaîner les jurons, mais disposerait-t-il d’assez d’oiseaux pour rivaliser avec un : « sacrament, l’ostie de câlice de tarnarnak d’estie de viarge de ciboire a encore prévu d'la neige » ?

Illustrations : Emile Borduas, projet de décoration pour la chapelle d'un château