samedi 14 novembre 2009

Où l'on se pâme devant des toiles d'Alleyn et de Lemieux

« Comme les sentiments, les tableaux sont aussi quelquefois contradictoires. Ce sont des lignes de tension… » (Marcelle Ferron)

Le Musée des Beaux-arts de Québec est l’endroit de la capitale des amateurs d’art et autres amateurs d’amateurs d’art. On y prend le ticket de l’exposition permanente, parce qu’on n’a pas envie de se tailler une réputation en allant voir Le Nu dans l’art contemporain ; on se tâte, et puis, attiré par l’idée, on va du côté qui fut une prison ; on entre chez Daudelin, on se dit que c’est un peu fort de café que de nous servir autant de maquettes d’œuvres, et si peu d’œuvres ; on ressort en claquant la porte après avoir violenté les guichetières.
Et puis, un jour, on revient, non pas qu’on soit en manque de nu : d’ailleurs on reprend le ticket de l’exposition permanente, mais cette fois-ci on ne va pas en prison. On déambule un peu, donc, dans les couloirs néo-classique-bizarres du pavillon opposé, et puis on tombe nez-à-nez avec une salle au nom séduisant : figuration et abstraction au Québec (1940-1960) – on y entre, ravi.

Et on a bien raison, car cette exposition est des plus réjouissantes. Sculptures, toiles, mobilier et petits objets s’y côtoient, orchestrés par une scénographie qui appelle à un dialogue subtil entre les œuvres.
A l’entrée, un texte donne un bref aperçu historique de la période. Ensuite, on ne trouve rien sinon des citations d’artistes, parfois en contradiction les unes avec les autres, toujours stimulantes, et participant en tout cela d’une visite non linéaire. Une,tout particulièrement arrive à point après beaucoup de considérations sur la différence entre l’abstrait et le figuratif :

« [« art abstrait » et « art figuratif »] ne sont pas des domaines naturellement en rupture. Au contraire, ils sont un seul domaine continu. C’est une question de degré, non d’espèces. Il y a des œuvres qui sont plus ou moins abstraites, c’est tout. »

Mais tout cela n’est que littérature, venons-en aux œuvres. J’en ai apprécié beaucoup, mais je ne parlerai que de deux toiles en particulier, ce qui sera aussi l’occasion de s’exercer à l’ekphrasis – aussi serez vous conciliants.

Il y a d’abord l’Ombre d’un doute (1959) d’Edmund Alleyn. La toile constitue un assez grand rectangle vertical, badigeonné d’un beige épais tirant parfois sur le vert, et qui pourrit à droite en une tâche presque noire, large et haute, aux contours vers le marron ; à son endroit, la peinture semble plus épaisse encore et forme d’horribles tumeurs, des furoncles, des rides, toujours des reliefs à l’aspect organique et répugnant ; sur tout cela, mais comme au dessus, deux ou trois éclats rouge vif, tout petits, mais piquants à côté de cette ombre énorme et douloureuse. Mais à vrai dire, j’y vois moins l’ombre que le doute lui-même, visible à un niveau cellulaire, comme une mitochondrie qui serait apparu dans le sourd concert organique à la façon d’un trou noir – donc, une pure négation ?-, statique mais attirant tout à lui.

Vient ensuite une autre toile, La fête-Dieu à Québec (1944) de Jean Paul Lemieux. Il s’agit peut être de la toile la plus franchement figurative de l’ensemble. On y voit une procession religieuse défiler dans les rues colorées du vieux Québec, suivie et contemplée par la foule bigarrée, faite d’enfants et de vieux, de bourgeois distants et de masses populaires, le tout plein d’anecdotes.
Je pense qu’on peut parler de peinture naïve : couleurs franches, perspective approximative, psychologie sommaires des personnages (quand on les voit d’assez près). Mais qu’on y regarde un peu mieux, et c’est une œuvre admirablement composée qui se dévoile seconde après seconde. Cette liberté dans la perspective se combine à un point de vue extrêmement bien choisi, qui à la fois donne l’impression d’être derrière une fenêtre, comme les personnages du premier plan apparaissent gros et détaillés, et permet d’embrasser, si l’on excepte le port, tout le vieux Québec ! L’œil, guidé par la ligne sinusoïdale formée par la rue qui suit la procession, et autour de laquelle s’organise tout le tableau, part des remparts qui marquent le début des Plaines, passent sur la rue Saint-Jean et les toits environnants, puis descend vers la place Royale pour se prolonger sur le quai jusqu’où continue puis s’éteint la ville, au pied de la falaise. Quand on sait les reliefs accentués de Québec, on pourrait se dire qu’il y a là un exploit. Or, justement, je ne sais pas si cette toile est « impressionnante » : il me semble au contraire que la magie de cette Fête-dieu vient de ce qu’elle est savante dans sa composition, son travail de la couleur et son mouvement, tout en ayant l’apparence réjouissante d’une œuvre simple, joyeuse et évidente, « naïve » avons-nous dit.

Voici donc, cet inutile article pour vous donnez envie d’aller au Musée des Beaux-arts.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire