mardi 26 janvier 2010

J'ai mangé le matin

Il se trouve tout à la fois que je n’ai rien à dire, et qu’il me désespère d’achever ce mois sur un total de cinq articles : situation embarrassante s’il en est une, et qui me contraint, par voie de conséquence, à vous parler de la pomme verte que j’ai mangé hier.



Ceci n’est pas un déjeuner ; c’est-à-dire que c’en est un, mais dans le sens québécois du terme, celui que nous traduirions par l’enfantine formulation de « petit déjeuner ». On notera la dominante anglaise du plus mauvais goût politique à travers la base de pommes de terre, les deux œufs sur le plat (dissimulant leur honte sous leurs blancs), les tranches de bacon, et jusqu’à l’agrume ornemental. Nous dirons, pour rattraper le tout, que la présence de rôties (tartines grillées) est plus internationale ; le muffin, ainsi que la pomme verte, sont des ajouts dont je suis l’auteur, et dont je ne saurais évaluer la pertinence - aussi, je sais que ce tableau serait plus complet avec une ou deux pièces de viande, en plus d’un verre de jus d’orange. Quoi qu’il en soit, le tout est finalement assez lourd pour faire office de repas du midi, et d’ailleurs, la concurrence est rude, même à 13h00, entre le « spécial déjeuner » et le « menu santé » - même si ce conflit devient ridicule dès qu'on intègre au champ de bataille le parti des burgers et des poutines (horreurs de frites et de boulettes de fromage napées de sauce brune).

dimanche 24 janvier 2010

Les gens n'aiment plus l'hiver II

Il n’y a que les maudits Français pour goûter l’hiver des Québécois ; les Québécois, eux, préfèrent de loin la Floride. La neige, le froid, c’est un peu la perruque dans la soupe, l’abomination tri-semestrielle qu’il faut subir de quatre à six mois, et dont consolent de moins en moins les étés décadents.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. C’est ce que s’attache à montrer l’anthropologue Bernard Arcand dans son article « Mon grand-père aimait l’hiver »,* dont la partie médiane déploie en gros traits l’histoire des rapports du Québécois à sa saison froide, du XVIe siècle à nos jours : histoire en courbe, qui met en lumière une très nette régression des mentalités – d’où le grand-père du titre.


On sait tous un peu l’horrible petite histoire des premiers Néo-Français : Cartier découvre la région de Québec en plein été, en conclu on ne sait trop comment que le climat n’y est guère différent de celui de France, et l’année d’après, c’est 25 marins qui périssent sur les 110 de l’équipage, à cause du froid, du scorbut, et de l’incapacité de communiquer avec les indigènes. Soixante ans plus tard, Champlain fera passer l’hécatombe du quart aux trois-quarts de l’équipage, avant de stagner autour d’une bonne moitié par hiver.

Et puis, par la force des choses, les colons commencent à s’habituer : ils bricolent, essayent, cessent de s’habiller en français, adaptent leur nourriture, empruntent à l’Europe du Nord et aux Amérindiens de nouvelles techniques de construction, et le tout « si bien que cent ans après les débuts de la colonie on grelottait déjà moins à Québec qu’à Versailles », s’amuse l’anthropologue.

De mortel, l’hiver devient vivable, et même tout-à-fait agréable. Ce qui se comprend facilement : pour une population essentiellement paysanne, les mois de neige sont autant de vacances. Arcand rapporte à ce propos les observations de l’Irlandais Isaac Weld, de passage en ex-Nouvelle-France en 1799 : « lorsqu’on a passé un hiver en ce pays, écrit-il, on commence à ne plus tant redouter la rigueur de cette saison ; et quant aux Canadiens, ils la préfèrent à toutes les autres. C’est pour eux le temps du repos et des plaisirs » - on est donc loin, en ces temps reculés, de « l’ostie de marde blanche » contemporaine. Donc, les Québécois ont aimés l’hiver. Et la culture québécoise s’est faite en hiver. Le conte et la chanson, encore si vivaces, et fondamentaux dans ce pays, sont nés durant les longues soirées oisives où tout le village se réunissait pour décliner le temps en fêtes continuelles.


L’époque d’Isaac Weld constitue le sommet de la courbe ; le XIXe siècle, la révolution industrielle et l’exode rural qu’elle engendre en amorcent le déclin. Une usine peut fonctionner sous la neige, donc l’hiver doit devenir une saison de production comme les autres. Autrefois synonyme de longs repos et de fêtes, l’hiver devient, rapidement, saison ennemie de l’industrie : « il fallait donc s’attendre à ce que les efforts pour combattre la saison froide ne connaissent plus aucun répit. De fait, depuis au moins un siècle, la lutte contre l’hiver s’est transformée en acharnement obsessionnel ». Pour vaincre l’hiver, Montréal est devenue la plus grande ville souterraine du monde (29 kilomètres de corridors relient 10 stations de métro, 2000 commerces, 4 universités, 4 gares, 20 centres commerciaux et 80% des bureaux du centre-ville), et le gouvernement dépense chaque année des sommes colossales pour maintenir son réseau routier contre accumulations et tempêtes. Comme l’illustre Arcand (et je l’ai vérifié moi-même), on peut tout-à-fait vivre au Québec sans jamais croiser l’hiver : « [le] Montréalais moyen pourrait traverser l’hiver en robe de chambre. Peu lui importe qu’à l’extérieur le mercure indique -27°C avec des vents en rafale de 65 kilomètres-heure transformant en poudrerie les 18 centimètres de neige tombés la veille ». Bref.

L’effet pervers de cette victoire est que l’hiver disparaît des imaginaires et redevient étranger aux Québécois. Il n’est dès lors plus concevable qu’une telle saison soit un problème, et sitôt qu’elle le redevient, le temps d’une panne d’électricité ou d’une chute de neige plus importante que la normale, on crie au scandale, on accuse la bavure, et le bulletin météorologique, nourrit de toutes ces inquiétudes et de ce ressentiment, accroît son empire jusqu’au bas des écrans d’ordinateurs. « Chaque étape de notre progrès insatiable dans la lutte contre l’hiver rend celui-ci un peu moins tolérable », c’est ainsi que le progrès nourrit le découragement collectif.


Pour Arcand, le problème vient de ce que l’ensemble des pays du monde, en s’industrialisant, ont adoptés les modes de vie des climats sous lesquels la révolution industrielle est née. Le Québec en est ainsi venu à lutter contre le bon sens, maintenant à plein régime sa production et ses services dans les pires conditions, à coups de millions dépensés chaque jour ne serait-ce que pour l’entretien des routes ou le chauffage intensif des locaux : « l’organisation classique du travail industriel dans un pays aux hivers rigoureux constitue une véritable insulte à la nature », s’emporte l’anthropologue, accusant une véritable aliénation collective éloignant la population de son environnement. Aussi avance-t-il la proposition, qu’il juge audacieuse, de déclarer « les mois de janvier et de février période de vacances nationales », la période l’été étant après tout la plus agréable pour travailler. L’idée (me) fait rêver, mais peut sembler plus fantaisiste qu’audacieuse ; cependant, on laissera sa chance à Bernard Arcand, qui ne fait là que l’esquisse d’une proposition qu’il déploie pleinement dans un autre ouvrage, Abolissons l’hiver ! (Montréal, Editions du Boréal, 1999).

*In Espace et sentiment, ouvrage dirigé par Stéphane Batigne et publié en 2001 aux éditions Autrement.

mercredi 13 janvier 2010

Trois photos

Sur la route, derrière la vitre

Pont, vu des chutes Montmorency

Ibidem

mardi 12 janvier 2010

Augment

(Tout n’a pas changé pour l’unique raison qu’une couleur bien connue s’y est apposée, ce sont aussi les couleurs de l’horizon qui se sont modifiées. Parce qu’il y a des personnes que je n’attends plus, tout simplement, et parce que tout ce que je vais découvrir ici, désormais,ne sera plus que pour moi seul. Je ne dis pas que cela m’attriste, mais ce n’est pas rien que de se redessiner un horizon.)

dimanche 10 janvier 2010

Quid novi ?

Il y a cet avantage à voyager seul qu’on y perd plus facilement ses marques, et qu’on s’en trouve ainsi confronté moins médiatement à l’inconnu qu’on espère, quand celui qui voyage entouré a plus de peine, sans doute, à ne pas voir ce qu’il découvre de derrière les vitraux d’un intérieur familier. Quoique cette idée soit suspecte dans sa simplicité, et que je ne l’écrirais pas si je ne l’écrivais maintenant, elle répond bien à l’état d’un sentiment compliqué qui s’est produit deux fois, lorsque deux fois un entourage familier, mais quitté depuis longtemps, s’est refait autour de moi, investissant un monde où j’étais arrivé seul, et bouleversant par là les nouveaux repères que j’y avais tracé.


Québec n’était plus Québec après que Marine y fut passée, parce que cette ville, que j’avais envisagée sans compagnie préexistante, prit alors dans ses couleurs et sa musique une tonalité amie qui la changea toute entière, comme un secret que l’on partage : une large tranche de tout ce qui était le privilège de ma connaissance se changea en un bizarre morceau de Paris. L’expérience se réitéra un peu plus tard, quoique d’une manière toute différente, mais avec davantage d’ampleur, lorsque ma famille vint à son tour : Québec à nouveau se modifia de leurs regards et de leurs voix trop connues, ainsi que Montréal et plusieurs autres paysages, et depuis je ne suis plus vraiment dans le pays que je voulais connaître seul.



Je voudrais avoir le talent de mieux décrire cela, en même temps que ce sentiment est peut-être trop peu fermenté pour se dire comme il faut, mais j’ai trop peur qu’il ne m’échappe tout-à-fait si je n’en dit rien maintenant. Ainsi : ce dont je suis sûr à cette heure, et bien que l’idée soit faible, c’est qu’il peut jaillir beaucoup de choses étranges du surgissement du là-bas dans l’ailleurs, du connu et de l’intime dans le monde que l’on a apprivoisé seul, et où l’on ne doit qu’à soi les repères que l’on y a tracé. Ces deux visites n’ont pas atténuées mon rapport à l’étranger comme on pourrait le craindre de la compagnie d’un proche qui serait là depuis le débarcadère, elles y ont apposé un ton que je connais bien mais qui, en même temps, le bouleverse, et qu’il me faut donc adapter. Soit un effort nouveau, peut-être, qui je l’espère me sera profitable, en ce qu’il pourrait élargir l’appréhension que j’ai de la réalité, disons, et toucher à l’équilibre que je tente d’y trouver.

mercredi 6 janvier 2010

Les jours tièdes

Petite, la voix de la raison me dit que l’hiver, après tout, n’en est qu’à ses débuts, et que janvier n’a pas six jours – pas tout à fait. Et puis, je n’ai jamais vu tant de neige de ma vie, ni de tant de sortes. Surtout, je ne sache pas qu’un autre hiver m’ait initié au froid : je l’ai appris cette année, un soir que je rentrais chez moi, et je l’ai révisé un matin que j’en sortais. J’en ai déduit qu’il n’y a pas de froid sans vent, qu’il faut avoir la sensation qu’on vous martèle un clou dans le front pour le reconnaître, et que sitôt que j’aurai quitté le Québec, il n’y en aura plus jamais.

Oui mais voilà, deux fois n’est que deux fois, et il se peut que je veuille plus de neige : après tout, ce désir n’a pas de fin. Or, les premiers jours de cette année nouvelle, à l’instar des derniers de sa parente, vont a contrario de ce que je souhaite. Par trois fois, si ce n’est plus, et comme pour singer les printanières, les températures ont glissé leurs blancs jupons de l’autre côté du zéro, en terrain positif. Jamais longtemps, certes, mais tout de même : deux fois au moins, il a plu ! La première donna le jour le plus dégoûtant de la saison, pour sûr, avec ses boues sales se déversant dans les rues de Québec comme des lahars glacés, inondant les places, pénétrant les mauvaises bottes… J’ai mieux supporté l’autre fois, mais c’était que je ne sortais pas.

Alors oui, la raison n’a pas tort de me dire que médiocre n’est pas mauvais, et que cela n’est pas tout l’hiver, et que puis-je y redire ? Sinon que je n’aime pas la tiédeur, et que j’aime mieux qu’un temps soit franc plutôt que de se complaire dans ses hésitations. A quoi elle rétorquerait peut-être que j’ai le comportement d’un spectateur qui en veut pour son billet, voire : d’un touriste ! Mais elle se méprendrait, car ces frustrations (toujours exagérées, d’ailleurs) je les prends aussi pour mon voyage, et quoique je préfère illustrer tout ceci par un plaisir de salon.