vendredi 23 avril 2010

Avril

Il y a des jours que la neige a disparu mais je goûte encore la sensation de l’herbe sous mes pas comme une nouveauté. Après des mois de sol minéral, la redécouverte du tapis organique : l’être vivant se reconnaît à la mollesse et à la peur qu’on a de le l’abîmer. Cependant il se montre docile et, au fil de la marche, divulgue gentiment ses rumeurs d’été, de plus en plus vert, malgré les cicatrices de terre et de sécheresse que lui ont fait les glaces.

En France les arbres verdissent dès la fin du mois de mars mais ici les bourgeons turgescents refusent d’éclater enfin, laissant les arbres grêles en paquets de squelettes sales sur le ciel bleu et l’herbe verte. Québec : l’automne flamboie, l’hiver porte son nom, le printemps paresse. Mais j’attends mai.

jeudi 8 avril 2010

Sur l'oiseau noir du Québec

On dira que Gaston Miron occupe dans la poésie québécoise une place similaire à celle d'Arthur Rimbaud dans la poésie française, avec Emile Nelligan peut-être, mais il faudrait alors faire entrer Baudelaire dans le jeu de la comparaison. Je n'en parlerai pas plus.
En revanche, j'aurais presque envie de vous le lire ; je crois que je saurais lui donner une voix, un corps. J'aurais la bouche pleine de ça, je ferais longuement rouler la matière sonore dans ma bouche, ce serait monotone mais très généreux. Dites-le à voix haute.





La Corneille

Corneille, ma noire
corneille qui me saoules
opaque et envoûtante
venue pour posséder ta saison et ta descendance

Déjà l'été goûte un soleil de mûres
déjà tu conjoins en ton vol la terre et l'espace
au plus bas de l'air de même qu'en sa hauteur
et dans le profond des champs et des clôtures
s'éveille dans ton appel l'intimité prochaine
du grand corps brûlant de juillet

Corneille, ma noire
parmi l'avril friselis

Avec l'alcool des chaleurs nouvelles
la peau s'écarquille et tu me rends
bric-à-brac sur mon aire sauvage et fou braque
dans tous les coins et recoins de moi-même
j'ai mille animaux et plantes par la tête
mon sang dans l'air remue comme une haleine

Corneille, ma noire
jusqu'en ma moelle

Tu me fais prendre la femme que j'aime
du même trébuchant et même
tragique croassement et la réciproque
secousse des corps

Corneille, ma noire


Gaston Miron, L'homme rapaillé