lundi 9 novembre 2009

La dame de la chute Montmorency

Les habitants de Boischatel vous diront qu’on aperçoit quelquefois, quand vient l’automne, une forme blanche et silencieuse errer à l’endroit d’un ancien champ de bataille, avant de s’élancer vers la chute Montmorency, où elle se jette alors parmi les eaux grondantes.
Il y avait dans les environs, vers le milieu du XVIIIe siècle, deux jeunes villageois, Mathilde et Louis, lesquels nourrissaient l’un pour l’autre des sentiments forts tendres, et dont les pères assuraient le mariage prochain. Bien que le secret fût inutile, Mathilde et Louis aimaient à se donner rendez-vous au sommet de la chute : sans doute goûtaient-ils là, environnés de la seule nature, le concert sublime des cascades, dont le vertige devait répondre à celui de leurs sentiments ; mais ils n’étaient pas nés pour être heureux.
La Nouvelle-France était alors plongée dans la guerre de Sept-Ans, et il y eut un jour où les Anglais débarquèrent tout près du village : on requit alors la milice locale pour grossir les rangs français, et comme Louis s’y était engagé, il dut prendre le fusil et faire ses adieux à Mathilde.
On rapporta que la bataille fut longue et pénible, la pluie gâchant la poudre, mais que l’Anglais avait été repoussé. Comme Louis ne figurait pas parmi les miliciens de retour, Mathilde l’alla chercher sur les lieux de la bataille, se gardant de larmes trop précoces comme d’espoirs trop fous, car peut-être était-il simplement blessé ?
Mais elle ne retrouva qu’un corps blanc et sans vie parmi les feuilles mortes et la boue. Quant elle eut fait à son tour ses adieux à Louis, elle perdit toute expression et retourna chez son père. Là, elle prit la robe blanche qu’on avait fait pour son mariage, la mit, et rejoignit une dernière fois le lieu de ses rendez-vous, où sa blancheur éclatante se confondit bientôt avec celle de la chute.


1 commentaire: