samedi 5 décembre 2009

Une affaire Tartuffe

Notre histoire littéraire fait bonne place au Tartuffe et à son affaire, fameuse s’il en est, où l’on vit – souvenez-vous – le propriétaire de la langue française brandir l’étendard de son œuvre contre les dévots qu’elle avait offensé.
Souvenez-vous, c’était en 1664 : la reine-mère Anne d’Autriche s’était offusqué de la représentation du Tartuffe à Versailles et avait lancé, appuyée par ses camarades religieux, une cabale qui en avait obtenu l’interdiction par le roi, lequel hypocrite l’avait pourtant bien aimé. Mais Molière avait de son côté Madame de la Sablière, un légat du Pape et les solaires hésitations du goût royal, aussi finit-il, après moult remous, par obtenir que l’interdiction soit levée : et l’ « affaire Tartuffe » resta dans l’histoire comme une victoire de l’art contre l’oppression, en France.

On sait moins les sinistres conséquences qu’eut cette pièce en Nouvelle-France. La fin du XVIIe siècle vit à Québec la création d’un festival annuel, le Carnaval d’Hiver, où l’on allait pour se divertir du froid et où le théâtre tenait bon rang, tout financé qu’il était par le pouvoir local.
Durant l’hiver 1693-1694, un jeune officier et comédien dilettante, Jacques de Mareuil, se mit en tête de monter le Tartuffe, lequel ne posait plus de problèmes depuis trente ans. Mais c’était sans compter sur le clergé local, et l’évêque de Québec, dont nous dirons ici le nom parce qu’il est drôle : Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, sitôt qu’il eut vent de ce projet, condamna les intentions du soldat-comédien et publia deux mandements qui, loin de s’en tenir à la sulfureuse comédie, fustigèrent le théâtre tout entier. Accusé d’impiété, l’officier se défendit et la nouvelle affaire fut portée devant le Conseil Souverain. Celui-ci hésita d’abord à rendre son verdict, comme il était délicat pour lui de se mettre à dos ou le clergé ou l’armée, puis fit arrêter Jean de Mareuil. Fort heureusement, l’audacieux militaire ne fut pas longtemps en prison, comme le gouverneur Frontenac se mêla bien vite à l’affaire et, jugeant qu’ « il s’y [était] mêlé beaucoup de partialités et de passions particulières », et qu’il n’y avait aucune preuve contre Mareuil, le fit libéré. Mais c’était à la condition de ne plus faire de bruit : Mareuil fut aussitôt rapatrié en France et ne revint plus dans la méchante colonie, qui, forte de ses mandements balayant le théâtre de sa vie culturelle, n’en eut quasiment pas jusqu’à la conquête anglaise, et pas beaucoup plus ensuite comme les anglais n’annulèrent pas les textes épiscopaux, si bien qu’il lui fallut attendre le XXe siècle pour avoir ses premiers grands auteurs et metteurs en scène.

Bibliographie :
GREFFARD & SABOURIN,
Le Théâtre québécois, Montréal, Boréal, 1997
PLOURDE & DESJARDINS,
400 ans de théâtre au Québec, Montréal, Beauchemin, 2008

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