jeudi 8 octobre 2009

Sherbrooke [nuit]

Je suis monté dans la voiture sans trop savoir où j’allais dormir, hormis que ce serait à Sherbrooke, et comme la perspective d’une nuit d’errance urbaine n’était pas pour me charmer*, j’ai pour ainsi dire fait l’économie des préliminaires et, sitôt les premiers contacts établis, ai demandé aux autres passagers s’ils habitaient la ville. Sans doute empruntai-je à ce moment là les manières d’une Quinn Morgendorffer, car la question, semble-t-il, suffit à ce que mon voisin m’offre son toit, moyennant une somme à faire rougir un Formule 1.

La route fut aussi parfaitement droite que celle qui va à Montréal.
D’heure en heure, des forêts défilent sur de faibles montagnes ; régulièrement, il y a un village dont on voit davantage l’annonce que la forme, et puis des motels, qui disent : « vous êtes en Amérique du nord ! »
Enfin, tout à coup, le moteur s’arrête et vous êtes devant l’Université de Sherbrooke. L’absence de transition entre la nature et la ville est si totale qu’il faut entrer assez loin dans ville pour s’y sentir vraiment ; c'est dire alors que la transition ne commence que dans la ville elle-même : on traverse d’abord de larges quartiers pavillonnaires, boursouflés de bosquets et de parcs, et puis la brique remplace le bois, les constructions se serrent et c’est le centre-ville. (C’est du moins l’impression que mon trajet m’a fourni, j’ai vu une zone industrielle au loin pour des entrées moins bucoliques.)

Peut-être l’idée d’avoir un toit redonna-t-elle ses charmes à celle d'errance noctambule, car j’ai finalement donné à la ville une bonne part de ma nuit, plutôt heureux, je crois, de la découvrir déserte et silencieuse, sous la pluie intermittente et la lumière artificielle.
L’eau sur mes lunettes la rendait nébuleuse, ajoutant une inquiétude à celle d’être seul dans l’inconnu et dans le noir. Je cherchais le théâtre du Granada, sans autre raison que la photo d’un ami, et l’idée d’aller au même endroit à des mois d’intervalle, et pour cela je descendais la rue Wellington. Mais au fur et à mesure de ma progression la ville se mourrait, s’épuisaient en architectures moins définies.
J’ai rebroussé chemin et je suis entré dans un SubWay, celui qui est au croisement des rues King et Wellington (la ville s’organise à partir de ces deux axes). Un vieux à casquette, qui se tenait planté devant l’entrée et sous la pluie la première fois que je suis passé devant, y était à présent installé. Une unique employée jouissait du vide des lieux pour paresser un peu, et plus tard, je remarquai la présence de deux adolescentes qui terminaient de manger. Sous la logorrhée radiophonique, le tableau avait quelque chose de stéréotypé et de fascinant, on l’eut peut-être trouvé dans un Lynch ou un Hopper arrangé pour l’occasion.
Il n’a fallut que sortir pour apercevoir le titre blanc et lumineux du Granada.

Savoir que je dormais sous le toit d’un étranger total eut dû me fournir une belle insomnie, mais il n’en fut rien ; il faut dire que j’avais beaucoup marché et que les gibbosités de Sherbrooke valent bien celles de Québec. De cette balade nocturne, je garderais peut-être deux choses surtout : les peintures murales et les trompe-l’œil se révélant tout à coup, au détour d’une rue, ainsi que les ponts divers aux dessus des remous noirs aux écumes légèrement luisantes, ponts se sont mués plus tard, dans mon sommeil, en atroces montagnes russes – ce qui, probablement, fut le tribut requis pour que l’insomnie se taise.

* Il faut atténuer la chose en précisant qu'il y avait peu de chances que les hôtels soient complets. Le coût en revanche aurait été important.

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