dimanche 27 septembre 2009

Quelques petites choses sur le français québécois

Avec, si je ne m’abuse, douze sons supplémentaires, la palette phonétique du français du Québec est d’un tiers plus fournie que celle de Paris*, comprenant un grand nombre d’allophones et un autre, plus petit, de phonèmes que ne connait pas ou plus, ou presque plus, le vieux pays de France.

Nous vulgariserons excessivement les définitions d’ « allophone » et de « phonème » afin de ne pas nous étendre et de ne pas ennuyer, même s’il est bon de s’étendre quand on s’ennuie.
Nous dirons donc, pour commencer, qu’un « allophone » est un son que l’on peut employer à la place d’un autre sans changer le sens dénotatif du mot**. Ainsi, au Québec :

Voyelles
-Au [i] que nous connaissons se substitue fréquemment le [I], plus ouvert. « Plus ouvert », c'est-à-dire que la langue est plus éloignée du palais que lorsque nous prononçons un [i] : avec ces éléments, et à condition d’être tout seul chez vous ou de prévenir votre entourage de vos intentions, vous devriez être en mesure de réaliser ce [I] caractéristique du français québécois.
On emploiera le [i] dans « mon mari est ivre », mais on emploiera le [I] dans « la bille roule vite » : je ne peux rien prouver, mais il semble alors que le son [I] s’emploie dès lors où il n’est pas le dernier son du mot.
-Au [u], « ou », et au [y], « u », se substituent souvent le [U] et le [ʏ], plus ouverts. Pour le cou, je n’ai aucune idée de ce qui peut déterminer le choix de l’un ou l’autre son, mais je sais qu’on emploiera le [U] dans « toutes les poules vont vite », par exemple, et le [ʏ] dans « il y a de la pulpe sur la butte », par exemple.
-Le québécois connaît encore la distinction quasiment disparue en France entre le [ɛ̃], « in », et le [ẽ], « un », caractérisé par une projection des lèvres que ne connaît pas le premier son. Il connait en outre un [3̃] qu’il emploiera indifféremment pour les mêmes mots : « malin » [malɛ̃] ou « malin » [malẽ].
-De la même façon, le français québécois alterne librement entre le [ɑ̃], « an », le seul que nous connaissions, et le [ã], plus ouvert.

Consonnes
-Certains dialectes***, comme celui de Montréal, utilise le r roulé, [r], à la place du r de Paris ou de Québec, [ʁ].
-Fait particulièrement intéressant, un petit son [s] succèdent au son [t] et [d] lorsque ceux-ci sont suivis par les phonèmes /i/ ou /y/, ou par les semi-consonnes /j/ (« yeu ») ou /ɥ/. « Tu vas dîner où dimanche » se prononcera ainsi [tsyvadineudimɑ̃ʃ], « tsu vas dsîner où dsimanche », sans forcer sur le [s].
-Il existe enfin deux variantes que je ne comprends pas, mais que je note tout de même par soucis de ne rien dissimuler : au [t] et au [k], « carreau », « kimono », peut se substituer un même [c], qui utiliserait davantage le palais ; au [d] et au [g], « gaz », peut se substituer un mystérieux [ɟ], palatal lui aussi.

En fait, j’ai menti, le français du Québec ne connaît qu’un seul phonème. Un « phonème » est une unité sonore dont la substitution par une autre, contrairement à l’allophone, entraîne une modification de sens, donne un mot différent. Maintenant que l’on sait tout ça, on peut être plus précis à propos des « allophones » en le définissant comme les différentes réalisations possibles d’un même phonème. Exemple : le [R] roulé, le [r] de France et le [R] grasseyé sont les réalisations sonores d’un même phonème /r/.

Ce phonème typiquement québécois a peut-être existé en tant que tel en France, où il n’est plus aujourd’hui qu’un allophone, quand il n’a pas complètement disparu. Il s’agit du /ɜ/, plus ouvert et plus long, que /ɛ/, et qui permet par exemple de distinguer à l’oral le mot « maître » [mɜtʁ] du mot « mettre » [mɛtʁ]. Disons que, si vous prononcez [mɛtʁ] en dehors de tout contexte, un français se représentera un professeur ou un outil de mesure, ou un professeur avec un outil de mesure, c’est-à-dire un prof de maths par exemple, tandis qu’un québécois ne verra que l’outil de mesure.
De là, on s’imagine avec délice les possibilités de confusions et de scènes que réserve cette distinction sémantique à tout français qui désirerait s’aventurer au Québec et parler de métrique et d’enseignement.

PS : n'ayant que peu de documents sur les particularités du français québécois, il est probable que je découvre un jour quelque erreur ou maladresse qui me fasse éditer cet article.

PS (2) : maudit ! Le blog ne tolère pas certains signes phonétiques... Je dois donc préciser que les petits signes ~(tildes) sont censés être au dessus des lettres et non à côté.


* C'est le français que nous prendrons comme référence.
** On comprend par là que, si l’allophone ne change rien au sens du mot, il affecte en revanche sa charge connotative, permettant à l’auditeur de comprendre, par exemple, que le locuteur est québécois.
*** En effet, le français du Québec n’est pas plus un que celui de France, variant assez d’une région à l’autre pour engendrer quelques difficultés de compréhension entre Québécois, d’après certains témoignages.

2 commentaires:

  1. Tu te plonges enfin dans le bain de délices linguistiques où on fait frire des générations de candidats au concours =) Mieux, puisque tu montres une curiosité et un esprit d'analyse digne, je ne dirais pas de Mme Séguy, mais enfin de quelqu'un qui fait ça bien.

    T'as senti plein de trucs !
    Quelques infos supplémentaires, notamment au sujet des consonnes. J'suis pas spécialiste, donc à prendre aussi avec prudence (d'autant que moi, je ne pourrai pas corriger mon commentaire) :

    -La différence de traitement entre les voyelles de "fin" de mot et les autres s'explique sans doute par le statut particulier des premières qui sont "sous l'accent" ; reste peut-être (je ne sais pas si c'est intéressant) à savoir si c'est la voyelle accentuée qui s'est conservée (tandis que les autres changeaient) sous cette influence, ou bien si c'est l'inverse.

    -Les consonnes auxquelles "s'ajoute un son [s]" s'appellent des "affriquées" (rien à voir avec le continent, ça veut dire "bruit de frottement contre") ou encore des "mi-occlusives" (mélange d'occlusive t, d et de constrictive s, j). C'est souvent en français un stade intermédiaire dans la "palatalisation" d'une consonne latine en position forte qui se réduit après au s ou au "j", mais vu que l'histoire du français est l'histoire du français d'ile de france, on peut imagine que ces formes en québecquois viennent de tel ou tel dialecte tel qu'il était parlé "à l'époque" (laquelle ?) par les colons et qui se serait -du point de vue des affriquées- conservé jusqu'ici.

    -Le t et le k palatals (palataux ? palatins ? :p) doivent en fait s'imaginer comme étant prononcés avec un léger sifflement (pour l'oreille ; il ne s'agit pas de "siffler en travaillant" la lettre dans la bouche).

    -Je crois qu'il y a une coquille à la fin, dans les notes : "charge dénotative" -> connotative plutôt non ?

    En tout cas c'était bien sympathique comme article \o/

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  2. Merci beaucoup pour ce complément ! Et aussi pour avoir repéré une première étourderie que je m'en vais de ce pas corriger, avant qu'elle ne corrompt trop d'esprits innocents.

    "mais vu que l'histoire du français est l'histoire du français d'ile de france, on peut imagine que ces formes en québecquois viennent de tel ou tel dialecte tel qu'il était parlé "à l'époque" (laquelle ?) par les colons et qui se serait -du point de vue des affriquées- conservé jusqu'ici."

    Hé bien, la majorité des colons venaient des régions du nord de la France (et en particulier de Normandie), mais les nécessités de la communication ont accordées une certaine prépondérance au dialecte parisien. A cette soupe primitive s'est ajoutée, à partir du 17e siècle, l'influence du français de la cour avec l'arrivée des "filles du roi". L'occupation anglaise puis le voisinnage anglophone ont joués aussi leur petit rôle (Par exemple, il me semble que beaucoup de "eur" se prononcent à l'anglaise quand ils sont en fin de mots), et je pense que l'analphabétisme et la relative absence de communication entre la France et le Québec, à partir de 1759 jusqu'aux missions diplomatiques de Sarah Bernhardt à la fin du 19e, a aussi eu des conséquences phonétiques.

    Mes connaissances sont encore trop imprécises et sans sources sérieuses pour faire un article, mais je tenterai d'apporter des éléments de réponse - ou du moins, de considérer le problème - lorsque j'aurais le temps de m'y mettre.

    "T'as senti plein de trucs !"

    Oula heu ce serait trop d'honneur, le gros vient quand même des quelques documents dont je disposais.

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