samedi 5 septembre 2009

De quebecuis ursidis

Je pensais que l’immensité des forêts canadiennes suffisait à repousser jusqu’à un seuil quasi mythologique les chances de tomber nez à nez avec un ours. Hé bien ! J’ai maintenant la preuve absolue du plus parfait contraire : quiconque s’aventure en forêt canadienne est à peu près sûr d’y trouver un grizzli, si ce n’est un ours noir.
En effet, le passe-temps principal d’un voyage en stop étant de se raconter les aventures plus savoureuses les unes les autres qui ont jalonnés notre vie jusqu’à la coïncidence de nos chemins, j’ai eu la chance, par deux fois – c’est-à-dire : en allant à Montréal, puis en remontant à Québec – d’apprendre ce qui se passe lorsqu’un Québécois part se promener en forêt. Et à chaque fois, vous l’aurez compris, il y a un ours.
Durant le voyage qui devait me conduire à Montréal, le récit était celui du chauffeur. Pour planter le personnage, disons qu’il s’agissait d’un homme (il s’appelait Pascal) dont l’équilibre existentiel reposait sur une oscillation régulière de son désir entre la vie urbaine, excentrique et libidineuse, et la vie dans le « bois »*, ascétique et silencieuse, oscillation que sa situation lui permettait de réaliser sans qu’on sache vraiment comment.
Pascal s’apprêtait à finir une longue période passée dans le « bois »* et rangeait ses maigres bagages d’artiste bohème dans le coffre de son « char », quand il eu la sensation soudaine, mais comme si elle ne faisait qu’apparaître à sa conscience après avoir longtemps été là, d’une présence tout à fait inconnue flottant comme un brouillard derrière son dos.
C’était l’ours. Un jeune ours brun, à peine adulte encore, que la curiosité avait probablement fait remonter les effluves volatiles du dentifrice de Pascal – il parait que les ours raffolent des produits dentaires. Dès que Pascal se retourna, la bête, par jeu ou pure agressivité, ou sans raison, le chargea.
Tandis que l’énorme bête courrait vers lui, tel un chien se précipitant vers son maître pour lui faire la fête, mais en plus gros et avec d’autres intentions, le poète calcula qu’il ne savait pas encore y faire avec les ours et s’en remit donc à son instinct, lequel lui commanda… de charger l’ours à son tour.
Qui eût cru que l’être humain, dans sa fragilité larvaire et sa pilosité réduite au duvet ornemental, fût jamais été capable de vaincre le grand ours, royal prédateur des virginités nord américaines ?
Et pourtant ! Malgré les doutes grammaticaux, il faut bien redire qu’à la vue de cette chose étrange et blanche courant vers lui avec des gestes désarticulés, et qui devait faire un contraste comique avec le paysage de pins verts sombre, l’ours prit ses quatre pattes à son cou velu et s’enfuit en couinant, comme un chien apeuré, mais là encore, en d’autres proportions.




La thèse de la systématicité des rencontres hommes / ours lors de promenades sylvestres ne tiendrait pas si c’était là mon unique référence, aussi dois-je faire le récit de ma seconde expérience pour pouvoir appuyer la loi que j’ai énoncé en premier lieu.
Il y eut en effet un retour à Québec avec d’autres petites histoires pour voyage en stop. Cette fois-ci, la rencontre oursonne fut le récit d’une autre passagère, une étudiante en sciences compliquées qui s’amusait de n’avoir encore jamais rencontré ni baleines ni belugas depuis le temps qu’elle vivait au Québec, quand le moindre touriste français – sauf moi – lui disait en avoir aperçu.
La pauvre – je ne sais pas son nom - avait une peur préalable des ours, et on avait dû lui assurer qu’il n’y en avait pas dans la région avant qu’elle ne se décide à se promener dans la forêt du lieu où elle était. A coup sûr, la région en question devait manquer de bonnes histoires, car il fallut que la jeune étudiante trouvât un ours sur son chemin tandis qu’elle était seule. S’en remettant elle aussi à son instinct, mais imprégnée tout comme mon premier chauffeur par l’éducation qu’on lui avait donné, elle choisit non pas de charger la bête mais de crier très fort. Et il faut bien avouer que cette méthode fut tout aussi efficace que son pendant viril, car l’ours, irrité peut-être par la hauteur des sons générés, débarrassa le chemin et laissa la vie sauve à la jeune étudiante, honnête compensation pour l’acquisition d’un traumatisme à vie des promenades dans les bois.
De ces deux histoires, plus qu’une simple fréquence, il faut tirer une morale : quelque soit votre sexe, et quelque soit votre âge, sachez qu’il y aura toujours un ours pour vous rencontrer lorsque vous vous promènerez dans la nature. Il sera toujours là où vous ne vous y attendiez pas : derrière votre dos si vous pliez bagages, sur votre chemin si on vous a dit que l’endroit était «sécuritaire».

Est ursida semper.

Il y a toujours un ours. D’où d’ailleurs que les québécois ne disent plus « il y a anguille sous roche », mais « il y a ours sous roche », puisque, si les français rencontrent sans cesse des anguilles, les québécois, eux, n’ont de cesse de rencontrer des ours.

* Un article oublié précisait que les québécois préfèrent le terme de « bois » à celui de « forêt », connotée par l’idée d’une nature policée, jamais tout à fait vaste ni sauvage, comme elle peut l’être aujourd’hui en France.

3 commentaires:

  1. Que de courage dans ces récits! Je n'oserais même pas raconter mes rencontres avec des anguilles, ce pourquoi j'admire la bravoure de ces conteurs de voyage °°.

    RépondreSupprimer
  2. C'est tout simplement merveilleux. Ca provoque l'étonnement, et ravit.

    RépondreSupprimer
  3. J'ai jamais rencontré d'ours de ma vie.
    Je connais personne qui ait déjà rencontré un ours.

    Je devrais peut-être me promener plus dans le bois, ou changer de cercle d'amis.

    RépondreSupprimer