jeudi 8 avril 2010

Sur l'oiseau noir du Québec

On dira que Gaston Miron occupe dans la poésie québécoise une place similaire à celle d'Arthur Rimbaud dans la poésie française, avec Emile Nelligan peut-être, mais il faudrait alors faire entrer Baudelaire dans le jeu de la comparaison. Je n'en parlerai pas plus.
En revanche, j'aurais presque envie de vous le lire ; je crois que je saurais lui donner une voix, un corps. J'aurais la bouche pleine de ça, je ferais longuement rouler la matière sonore dans ma bouche, ce serait monotone mais très généreux. Dites-le à voix haute.





La Corneille

Corneille, ma noire
corneille qui me saoules
opaque et envoûtante
venue pour posséder ta saison et ta descendance

Déjà l'été goûte un soleil de mûres
déjà tu conjoins en ton vol la terre et l'espace
au plus bas de l'air de même qu'en sa hauteur
et dans le profond des champs et des clôtures
s'éveille dans ton appel l'intimité prochaine
du grand corps brûlant de juillet

Corneille, ma noire
parmi l'avril friselis

Avec l'alcool des chaleurs nouvelles
la peau s'écarquille et tu me rends
bric-à-brac sur mon aire sauvage et fou braque
dans tous les coins et recoins de moi-même
j'ai mille animaux et plantes par la tête
mon sang dans l'air remue comme une haleine

Corneille, ma noire
jusqu'en ma moelle

Tu me fais prendre la femme que j'aime
du même trébuchant et même
tragique croassement et la réciproque
secousse des corps

Corneille, ma noire


Gaston Miron, L'homme rapaillé

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire